Des militants écologistes alternatifs, qui occupent depuis deux ans et demi une parcelle agricole achetée par le groupe Auchan à Mont-Saint-Aignan, au nord de Rouen, pour lui conserver sa vocation agricole, pourraient voir paradoxalement le terrain leur échapper au profit d'une PME qui veut y pratiquer du maraîchage bio.
En quelque sorte « pris à leur propre jeu », les militants, certains issus du mouvement zadiste, ont dû, en urgence au milieu de l'été, boucler et déposer un projet d'exploitation concurrent de celui de la PME.
« Occupation citoyenne » assez unique en France, qui n'a pas jusqu'ici donné lieu à des affrontements avec les forces de l'ordre, la ferme des Bouillons était néanmoins devenue, comme les dizaines d'autres ZAD (« zones à défendre ») opposées à certains projets - aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes, barrage de Sivens (Tarn), parc de loisirs à Roybon (Isère) -, un épineux dossier pour les autorités locales. Des décisions de justice, non encore appliquées, ont été prises en vue de son évacuation.
Située au nord de Mont-Saint-Aignan, en contrebas d'une rocade, cette ferme de 4 hectares de terres cultivables avec des bâtiments en mauvais état est devenue la propriété d'Immochan, branche immobilière du géant de la distribution qui avait un projet - supposé - d'implantation d'une zone commerciale.
Des militants ont commencé à occuper les lieux en décembre 2012 et cette petite ZAD normande a jusqu'ici vécu des jours tranquilles, tout en faisant régulièrement parler d'elle dans les médias locaux. Mais début août, le dossier a pris un tournant inattendu. Immochan a en effet renoncé à cette parcelle et a signé un compromis de vente pour 150.000 euros avec des experts paysagistes, les frères Thibault et Baptiste Mégard, qui ont formé une SCI familiale et sont soutenus financièrement par une PME d'aménagement de jardins dirigée par leur père.
Choc des cultures
Cette transaction discrète, mais repérée par un syndicaliste de la Confédération paysanne, a provoqué un branle-bas de combat au sein de la ferme des Bouillons qui, en réplique, vient tout juste de déposer auprès de la Direction de l'agriculture (DRAAF) son projet : maraîchage bio, permaculture (culture respectant scrupuleusement le milieu naturel), vente directe de produits à la ferme, atelier pédagogique.
Sur le papier, les zadistes normands auraient pu se réjouir de voir atteint leur objectif de maintien de la vocation agricole, mais ils ont aussitôt soupçonné leurs concurrents d'être prêts à céder les parts de leur SCI au groupe Auchan dans quelques années.
Au-delà du procès d'intention, c'est un véritable choc des cultures qui ressort du combat de ces projets « bio » concurrents : l'entreprise classique qui parle « business-plan », versus un joyeux capharnaüm autogéré « hors système ». « Nous ne sommes pas des amateurs et nous avons déposé un véritable business plan sur cinq ans », indique à l'AFP Thibault Mégard, soulignant la complémentarité avec la PME familiale dont les déchets verts pourront être utilisés. « Ils n'ont fait que copier notre projet et le système de la SCI a déjà été utilisé pour la ferme des mille vaches dans la Somme », rétorque Philippe Vue, un des porte-parole des Bouillons.
Le projet des experts paysagistes a pris une longueur d'avance. Il séduit a priori la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) de Haute Normandie, qui devra toutefois dire, avant la fin août, si elle use de son droit de préemption sur la parcelle et met les deux projets en concurrence.
Quelle que soit l'issue de cet imbroglio entre écologie croissante et décroissante, pas sûr que la ferme des Bouillons échappe, cette fois, à quelques débordements.
Quel imbroglio
vendredi 07 août 2015 - 11h42
SAFER, Zadistes, SCI, et juste le juste respect du droit de propriété et de libre jouissance d'un bien par son propriétaire??