Les députés allemands doivent approuver jeudi l'introduction d'un salaire minimum, imposé par ses partenaires sociaux-démocrates à la chancelière Angela Merkel et fruit d'un intense marchandage qui en a réduit le champ.
Ce salaire plancher de 8,50 euros bruts de l'heure va entrer en vigueur au 1er janvier 2015 mais il faudra attendre 2017 pour qu'il s'applique à tous, et encore, pas vraiment puisqu'une série d'exceptions ont été prévues, certaines dès le départ et d'autres sur la dernière ligne droite, pour assurer au texte la majorité la plus large possible.
Son adoption au Bundestag, chambre basse du Parlement, ne fait aucun doute. Les partis de gouvernement, conservateurs de Mme Merkel et sociaux-démocrates (SPD), y ont une écrasante majorité. Dans les rangs conservateurs certains devraient toutefois voter « non ».
Ils répugnent à voir l'Etat intervenir dans la fixation des salaires, dans un pays où ceux-ci sont traditionnellement fixés par les partenaires sociaux branche par branche.
« La loi va dans la mauvaise direction, beaucoup (de députés conservateurs) vont voter non », estimait en début de semaine l'ex-ministre Peter Ramsauer, dénonçant une hypothèque sur « la compétitivité et l'avenir de l'Allemagne ». Au final, le nombre de renégats devrait osciller entre 10 et 20, sur un total de 311 élus des Unions chrétiennes (CDU/CSU).
A contre-coeur
Mme Merkel elle-même n'a consenti qu'à contre-cœur à la mesure, pour s'assurer la participation à son gouvernement du SPD. Sur fond d'essor d'un secteur à très bas salaires, c'était pour ce dernier un cheval de bataille depuis longtemps.
Alors que fédérations d'employeurs et économistes rivalisent de pronostics alarmistes sur les destructions d'emplois et les délocalisations que cette loi va entraîner, le camp de la chancelière a âprement marchandé pour limiter son champ d'application.
La ministre de l'Emploi sociale-démocrate Andrea Nahles avait fait la sourde oreille à la plupart des revendications. Seuls les stagiaires de courte durée, les jeunes de moins de 18 ans et les chômeurs de longue durée, pour les six premiers mois de leur activité, ne tombaient pas sous le coup de la loi, selon le projet présenté au printemps. Les secteurs dotés d'un accord salarial sectoriel encore valable – les coiffeurs par exemple – sont également épargnés jusqu'à 2017.
Dans la perspective du vote de jeudi, le régime d'exceptions a été élargi ces derniers jours. Après avoir agité la menace d'une explosion du prix de fraises et asperges, les agriculteurs ont obtenu des aménagements pour les saisonniers. De leur côté, les éditeurs ont négocié un régime transitoire pour les livreurs de journaux. Et le niveau du salaire minimum ne sera réévalué que tous les deux ans et non tous les ans.
« Gruyère »
Autant de dispositions qui valent au gouvernement d'acerbes critiques. « Le travail c'est du travail, et payer certaines catégories moins que d'autres est discriminatoire », dénonce Stefan Körzell, de la fédération syndicale DGB, tandis que les Verts critiquent une règlementation « gruyère ». Même la députée SPD Hilde Mattheis a qualifié les exceptions de « fâcheuses » et plaide pour les supprimer graduellement.
Au total, ce sont 4 millions de salariés, sur les 42 millions d'actifs que compte l'Allemagne, qui devraient voir leur fiche de paie gonflée au 1er janvier, et un million de plus au 1er janvier 2017, estime le SPD.
Le niveau choisi pour le salaire minimum se situe dans la moyenne des autres pays développés. Il est inférieur au Smic français (9,53 euros) mais supérieur à son équivalent britannique (6,31 livres soit 7,91 euros) ou américain.
A l'étranger, en France notamment, la décision allemande de se doter d'un salaire minimum avait été salué comme l'amorce d'une politique économique plus à même de soutenir la croissance, appelée de leurs voeux depuis longtemps par un certain nombre de partenaires de Berlin.
La loi devra encore passer la semaine prochaine devant le Bundesrat, chambre haute du Parlement, où son adoption sera une formalité.