Les négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs s'ouvrent cette année sur des tendances contradictoires, partagées entre économie morose, guerre des prix persistante et nouvelles alliances stratégiques qui alimentent les tensions et les discours d'acteurs appelant toutefois à l'apaisement.
Lors de débats organisés mardi par le magazine LSA au début des discussions commerciales entre distributeurs, industriels et agriculteurs, les échanges ont été courtois, presque policés. Bien loin des invectives qui fusent depuis plusieurs années à la fin de février à la fin des négociations, destinées à fixer les tarifs des produits de consommation courante pour l'année à venir.
Est-ce à dire que l'on s'achemine vers des négociations moins tendues ? Pas forcément.
Constat unanime : la guerre des prix alimente la déflation et détruit de la valeur
Constat unanime : la guerre des prix alimente la déflation et détruit de la valeur, ce qui n'est bon pour personne. Elle « ne mène nulle part et aujourd'hui, l'heure est grave », ont expliqué à l'unisson, Serge Papin, dirigeant de Système U, et Thierry Panquiault, directeur général de l'Ilec.
Mais sur les responsabilités, tout le monde se renvoie la balle. Les fournisseurs continuent d'accuser les distributeurs de faire pression pour des tarifs toujours plus bas, et les enseignes accusent les industriels de demander des hausses exorbitantes sans rapport avec le cours des matières premières agricoles qui baisse.
Même entre distributeurs, chacun se défend d'avoir été l'initiateur de la course aux prix barrés. « On n'a jamais été des allumeurs de mèche », a déclaré Vincent Mignot, responsable d'Auchan pour la France. « Moi, je n'ai jamais été pour la guerre des prix, j'ai toujours dit qu'elle était ridicule », a renchéri M. Papin.
« On n'est pas prêts à remonter les prix quand tout le monde les baissent »
Pourtant, chacun explique qu'il ne pourra pas totalement s'en abstraire, sous peine de se voir distancer par ses concurrents. « On n'est pas prêts à remonter les prix quand tout le monde les baissent », a expliqué Georges Plassat, PDG de Carrefour. Même son de cloche chez Auchan et U qui « refusent de se laisser faire ».
Quant à Leclerc, il refuse d'être « hors marché. Nous ne nous sommes pas trompés de stratégie (en misant sur les prix bas, ndlr). Le consommateur compte ses sous : il faut faire avec ça », a réaffirmé son dirigeant.
Malgré tout, le discours des enseignes cette année témoigne aussi de volontés d'apaisement. Michel-Édouard Leclerc, souvent désigné comme le « grand méchant des négos », a souligné la nécessité de « ne pas faire n'importe quoi » et d'« agir avec discernement », sans « jouer les gros bras ».
« Aujourd'hui, il y a plus de collaboration à mettre en place » et il « faut développer une relation plus empathique avec les PME », a estimé M. Papin.
La négociation ne doit pas être synonyme de « se ruiner ensemble ou de s'appauvrir mutuellement ».
Chez Carrefour aussi, on se déclare prêt à faire un geste. « La période actuelle demande d'être plus intelligent » en « nouant des partenariats avec les industriels qui s'inscrivent un peu plus dans la durée », a souligné M. Plassat.
« Trouvons le bon chemin pour construire l'avenir ensemble », a-t-il lancé, soulignant que certes, « la négociation n'est pas une partie de plaisir », mais elle ne doit pas pour autant être synonyme de « se ruiner ensemble ou de s'appauvrir mutuellement ».
Du côté desfournisseurs, on reste méfiant.
Du côté des fournisseurs, on reste méfiant. « J'ai très envie de croire les distributeurs, mais il faut agir et j'ai parfois l'impression que les messages d'en haut ne vont pas toujours jusqu'aux acheteurs », a déclaré Jean-Philippe Girard, président de l'Ania, appelant de ses voeux des négociations « plus constructives ».
Reconnaissant que des efforts ont été fait vis-à-vis des PME, les représentants des grands marques nationales et internationales ont réclamé que leurs problématiques soient davantage prises en compte.
Par ailleurs, les alliances d'achat entre Système U et Auchan, conclues en septembre, et une autre annoncée mercredi entre Casino et Intermarché, qui vont toutes deux renforcer le poids de ces acteurs dans les négociations, alimentent les inquiétudes des fournisseurs sur un possible durcissement de ton.
Enfin, l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la consommation contribue aussi à nourrir les incertitudes, faisant craindre un interventionnisme renforcé de l'Etat ou une judiciarisation accrue des échanges, qui pourraient compliquer encore les discussions. Distributeurs et fournisseurs ont déjà été convoqués à Bercy d'ici à quinze jours, pour discuter des conséquences de la guerre des prix, après une première réunion qui s'est tenue cet été.
Venue conclure les débats, la secrétaire d'Etat à la Consommation, Carole Delga a tenté de calmer le jeu. « Il est indispensable d'avoir une responsabilisation de tous les acteurs et davantage d'esprit de coopération », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Les luttes intestines sont vaines et ne sauront créer que des perdants. »