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Règles de la concurrence

« Les producteurs se trompent de combat en demandant une exonération » ( Interview J.-M. Belorgey)

Publié le jeudi 15 avril 2010 - 15h57

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La France Agricole : Dans une perspective de fin des quotas en 2015, quels types de regroupements (en termes de droit de la concurrence) peuvent envisager les producteurs ?

Jean-Marc Belorgey : Indépendamment de la fin des quotas, les producteurs peuvent se regrouper pour commercialiser en commun, utiliser des équipements communs (notamment pour la collecte),  produire en commun ou vendre leur production sous la même marque, voire pour transformer eux-mêmes en commun. Ces coopérations peuvent couvrir tout ou partie des différentes étapes de la chaîne, utiliser, ou non, le modèle coopératif et s’accompagner, ou non, d’un transfert de propriété entre le producteur et l’organe commun.

Par exemple, une structure de négociation commerciale créée par des producteurs pourrait agir sur mandat de ces derniers, afin de négocier au mieux les prix et les conditions contractuelles avec différents transformateurs.

Dans une communication relayée sur le site internet de l’Autorité de la concurrence (communiqué du 18 mars 2010), la Commission européenne examine ces différentes possibilités au regard des règles de concurrence. L’appréciation qu’elle donne est plus souple que ce que pouvaient imaginer un certain nombre d’acteurs du secteur agricole.

 

Un groupement d'éleveurs peut-il négocier un volume, un prix ? Jusqu'à quelle taille peut aller ce groupement ?

La Commission identifie plusieurs hypothèses dans lesquelles un groupement d’éleveurs peut négocier en commun sur le volume et sur un prix unique. Certes, à partir du moment où le groupement atteint une certaine puissance sur le marché, cette puissance peut poser des problèmes de concurrence.

A cet égard, la Commission mentionne différents seuils de part de marché ou de chiffre d’affaires. Ces seuils permettent de distinguer trois situations :

en dessous de 5 % de part de marché et pas plus de 40 millions d’euros de chiffre d'affaires : le droit européen de la concurrence ne s’applique pas du tout ;

jusqu’à 15 ou 20 % de part de marché (selon les cas) : il s'applique mais la coopération ne pose normalement pas de problèmes de concurrence et une analyse individuelle n’est pas nécessaire ;

au-delà des seuils précédents : le droit européen de la concurrence s’applique et une telle analyse est nécessaire pour savoir si les accords peuvent être acceptés en tenant compte, d’une part, des atteintes à la concurrence qu’ils peuvent entraîner et, d’autre part, des aspects positifs qu’ils apportent en contrepartie.

Bien entendu, les parts de marché dépendent de la définition du marché, tant en ce qui concerne l’aspect « produit » que l’aspect géographique. Le marché se définit avant tout en tenant compte de la demande. A cet égard, sauf pour des laits produits dans une aire géographique déterminée et destinés à une utilisation particulière (fromage AOC...), la demande émanant des grands transformateurs, qui s’adressent aux différentes régions de France, voire à d’autres pays, conduirait vraisemblablement à identifier des marchés bien plus vastes que la zone de collecte possible pour chaque producteur ou laiterie.

En 2006, examinant la création d’une filiale commune entre Lactalis et Nestlé, la Commission a ainsi considéré que le marché de l’approvisionnement en lait brut correspondait à la France entière. Sur de tels marchés, un groupement de producteurs disposant de 15 ou 20 % de part de marché serait déjà un acteur économique significatif.

A cet égard, les différences de statut – coopératif ou autre – n’interviennent normalement pas dans l’analyse concurrentielle.

 

Qu'en est-il des interprofessions ?

S’agissant des interprofessions, en tout cas au niveau national, elles représentent en principe la totalité des producteurs et des transformateurs du pays. C’est pourquoi, même si le marché de référence est très large, il n’est pas possible d’accepter, au regard des règles de concurrence, qu’elles soient le lieu de détermination de prix communs ou de variations de prix communes pour l’ensemble des producteurs et des transformateurs. Dans un tel cas, en effet, il n’y a plus de concurrence puisque, pour simplifier, il n’y a plus qu’un offreur et un demandeur.

 

Pourquoi, selon vous, les producteurs se trompent de combat ?

De mon point de vue, les producteurs se trompent de combat en demandant une exonération des règles de concurrence pour pérenniser le système de négociation des prix au sein de l’interprofession. En effet, ce système officialise la possibilité pour les industriels de se coordonner pour une position de négociation unique. Or dans le face-à-face, les producteurs ne font a priori « pas le poids », puisqu’ils doivent presque chaque fois faire appel aux pouvoirs publics pour tenter d’obtenir une issue équilibrée.

Des négociations individuelles entre des groupements de producteurs de taille significative et chaque industriel pris isolément seraient beaucoup plus à même de rééquilibrer le pouvoir de négociation. N'oublions pas que le droit de la concurrence permet aussi d’interdire les ententes anticoncurrentielles entre transformateurs.

Néanmoins, l’interprofession doit conserver un rôle important pour que ces négociations se déroulent dans de bonnes conditions, notamment en élaborant des contrats types, ainsi que le prévoit le PLMA (ndlr, projet de loi de modernisation agricole). Par ailleurs, des données économiques objectives doivent être mises à la disposition des parties dans le même but.

 

Friesland et Campina (deux coopératives des Pays-Bas) ont eu l'autorisation de fusionner en 2008, se trouvant en situation de quasi-monopole sur leur marché intérieur et devenant l'un des plus gros intervenants du secteur laitier européen. N'y a-t-il pas deux poids, deux mesures ?

Cette fusion a concerné des coopératives très intégrées maîtrisant entièrement la chaîne, de la production de lait brut à la transformation. Je note que dans cette affaire, le marché de l’approvisionnement en lait brut retenu par la Commission a été également le niveau national (les Pays-Bas, et non des marchés régionaux plus petits). L’opération a été autorisée, après une enquête approfondie et sous différentes conditions, garantissant notamment aux transformateurs concurrents de Friesland-Campina des possibilités suffisantes d’approvisionnement en lait brut aux Pays-Bas.

Je ne sais pas si on peut parler de deux poids, deux mesures, car il ne me semble pas qu’il y ait eu en France un projet de fusion de cette envergure. Il est vrai que les règles de concurrence conduisent en général à autoriser une plus forte concentration du pouvoir de marché lorsque les entités concernées fusionnent véritablement pour ne plus constituer qu’un seul opérateur économique (comme c'est le cas pour Friesland-Campina) que lorsque des entités adoptent une ligne d’action commune alors qu’elles restent indépendantes.

 

propos recueillis par Elsa Casalegno


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