Comment avez-vous vécu votre rôle de colégislateur ?
Ce rôle est important la mesure où pendant les quatre ans de débat sur la réforme de la Pac entre les trois institutions, toutes les décisions prises ont été débattues. Cela a été d'autant plus important que la Pac est le premier budget de l'UE. Cela a permis au PE de prendre encore un peu plus d'importance aussi par rapport aux chefs d'Etat et de gouvernement et aux ministres de l'agriculture.
Sur la forme, c'est une avancée démocratique que le PE soit à égalité avec les ministres. Sur le fond, dans le cadre du débat sur la réforme de la Pac, je pense que le PE n'a pas eu le courage d'aller jusqu'au bout de la réforme parce qu'une majorité, que je déclare conservatrice, dans laquelle il y avait à la fois le PPE et le S&D, ont affaibli la réforme proposée par le commissaire Ciolos.
La proposition initiale était pourtant ambitieuse. A la fois sur la redistribution des aides entre les agriculteurs, puisqu'il était prévu un plafonnement des aides, et sur le verdissement (rendre la Pac plus agronomique). Les Etats membres aussi ont affaibli le texte. A l'arrivée on s'est retrouvé avec une réforme évidemment amoindrie et surtout, une Pac à la carte.
Sur la réorientation globale de l'agriculture, ça pose évidemment un problème et ça atténue fortement les impacts qu'aurait pu avoir la réforme sur l'ensemble de l'agriculture européenne. C'est une question de majorité. Je me suis retrouvé en opposition au final. J'accepte le jeu démocratique. La légitimité du Parlement a parlé. Je critique politiquement le Parlement, pas le fonctionnement. Mais c'est vrai que par exemple, sur le budget, pour la première fois le budget global de l'UE a été réduit, donc le budget de la Pac aussi. Globalement, si l'on prend l'ensemble des pays, on a perdu au moins 8 % du budget par rapport à la période précédente. Là aussi, le PE n'a pas eu le courage de s'opposer aux chefs d'Etats et de gouvernements. Or, le PE avait fait une proposition de budget qui était plus importante, qui permettait effectivement que les finances sur l'agriculture soit plus importantes. Le vote final s'est fait contre ce qu'avait proposé le PE. C'est une capitulation. C'est aussi un très mauvais signe politique. Les députés européens dans leur majorité ont suivi les demandes de leurs gouvernements respectifs et des majorités des gouvernements. Les groupes politiques ont cédé. Et ça, je pense que c'est dommage.
La Comagri, n'a-t-elle pas fait bouger les lignes sur les diverses questions agricoles qui ont jalonné la dernière mandature ?
Nous avons été capables d'avoir des actions collectives importantes en Comagri. Je pense par exemple au refus d'accord de libre-échange avec le Maroc sur les fruits et légumes. La Comagri a voté très clairement contre. Ça, ça avait été positif, même si nous avons battu ensuite en séance plénière. Dans le cadre de la réforme de la Pac aussi, nous avons pu introduire des modifications dans le cadre du chapitre OCM pour remonter les niveaux des taxes d'entrée pour les produits importés extérieurs à l'UE. Dans ce cadre-là, nous avons modifié de manière significative l'impact négatif de l'accord de libre-échange. Sur le bien-être animal, sur l'ensemble des questions des semences, etc., il y a eu énormément d'éléments qui ont été fait.
Moi-même j'ai fait deux rapports, un sur le revenu des agriculteurs, et un autre sur les charges et les intrants qui ont été voté à la majorité, tous groupes confondus. Il y a eu un vrai travail pendant ces cinq ans que je trouve globalement intéressant. Et qui fait que pour la première fois, nous ne sommes pas simplement dans la discussion à partir de textes qui sont concoctés ailleurs. Le PE sur l'agriculture, devient un acteur incontournable.
Les médias à destination du grand public dénoncent régulièrement des députés sous influence des lobbys. Qu'en est-il ?
Il est vrai que les pressions s'exercent très clairement à la fois sur la Commission, sur le Conseil via les ministères, ou sur le PE où il y a des tentatives d'influencer les députés. Sur les actes délégués pour la mise en œuvre de la Pac, nous avons assisté à un forcing des marchands d'engrais azotés. Ils ont tout fait pour faire changer les actes délégués sur la question des protéines végétales. Face à ces lobbys, le PE peut être plus indépendant c'est évident.
Les lobbys, ce sont moins les syndicats agricoles ou les associations environnementales que les entreprises qui essaient d'influencer un certain nombre de votes. Je pense aussi au débat que nous avons eu sur les abeilles et les néonécotinoïdes où Syngenta a essayé d'empêcher leur interdiction en faisant pression jusqu'à l'agence européenne des aliments. Je pense aussi à la castration chimique des porcs, où ils ont essayé de me vendre le traitement de la castration chimique des porcs soi-disant au nom du bien-être animal. C'était 400 millions d'euros de bénéfices pour eux. Je les ai envoyés dans les cordes. Nous les avons dénoncés publiquement. Nous ne les avons pas vus revenir... Je ne vous parle même pas de Monsanto, c'est évident. La pression de Monsanto a toujours été très forte pour essayer de rentrer dans le débat des OGM.
Du fait du scrutin proportionnel, aucun groupe politique n'est majoritaire au sein du PE. Alors, comment se construisent les majorités sur un texte ?
Pour chaque texte, il faut trouver, si ce n'est un consensus, une majorité. On essaie de construire des majorités : deux, trois, quatre, cinq groupes politiques peuvent se mettre d'accord. Par exemple, quand un rapport est fait en Comagri, le rapporteur, qui est d'un groupe politique, rédige le texte. Les autres groupes politiques qui participent nomment ce qu'on appelle un « shadow-rapporteur » sur ce texte. Les propositions se font d'amendement et ensuite, le rapporteur et les « shadows » se réunissent pour essayer de voir ce qu'on peut mettre en commun pour essayer de faire des consensus. On rédige dans ces cas-là des amendements de compromis. Ensuite, c'est voté. C'est tout un travail collectif qui est fait.
Quelles sont les priorités de la prochaine mandature ?
Il va y avoir une clause de revoyure sur les actes délégués. Il y a aussi la fin théorique des quotas laitiers en 2015. Ce seront les premiers chantiers. Il faudra aussi surveiller de près les accords de libre-échange avec le Canada, les USA et l'Amérique du Sud. Nous voulons être davantage impliqués dans la négociation. Nous ne voulons pas être seulement consultés et ça fait partie des revendications. Les implications sur l'agriculture sont évidemment très importantes puisque très concrètement, on se retrouve avec énormément de problèmes sur les importations, notamment en viande bovine et où la bagarre tarifaire est absolument considérable. J'ai commencé à alerter là-dessus, parce qu'on risque d'arriver à une catastrophe totale aussi bien dans l'accord avec le Canada que celui avec les Etats-Unis ou le Mercosur. Je suis suppléant dans la commission du commerce international. Nous participons à des comptes rendus. C'est comme ça que le mois dernier j'ai récupéré (officiellement) les documents sur les droits de douane d'importation. C'était une liasse avec 300 pages qu'avec des tableaux de droits de douane. On a analysé ça avec nos équipes. A l'arrivée, si les trois accords étaient passés, on se retrouverait avec pas loin de 150.000 à 200.000 tonnes de viande bovine importées dans l'UE.
En matière d'énergie et d'environnement, le travail a également commencé. Notamment, avec mon rapport d'initiative sur le coût des intrants. Je montrais clairement que si on mettait en place une autre politique à la fois sur la question énergétique et sur la question des protéines végétales, on était capable de diminuer les coûts des intrants, sachant que le prix des produits pétroliers ou issus des produits pétroliers (cela concerne évidemment aussi les engrais azotés) ne va pas diminuer. A la fois pour des questions climatiques, économiques et évidemment environnementales, une prise en compte de la question du changement climatique va devenir une question primordiale dans les années à venir. Un énorme travail nous attend. Il peut se concevoir de manière assez intelligente, entre à la fois l'énergie produite sur l'exploitation, que ce soit pour faire rouler les tracteurs à partir de l'huile de colza par exemple, ou que ce soit pour avoir des exploitations agricoles « à énergie positive » (qui produisent plus d'énergie qu'elles n'en consomment), soit par le photovoltaïque, soit par la méthanisation. Il faut qu'on revienne à une vision globale de l'exploitation agricole et qu'elle soit capable d'assumer ses consommations énergétiques et donc de produire plus d'énergie qu'elles n'en consomment. Ce serait gagnant évidemment pour les agriculteurs.
En cette veille électorale, quel message passeriez-vous aux agriculteurs ?
Toutes ces questions montrent l'importance pour les formations politiques nationales de choisir des candidats qui peuvent être efficaces (chacun en fonction de son analyse) et ayant une légitimité dans tel type de commission ou pas. C'est ce qui fait qu'on était un certain nombre dans la commission de l'agriculture (issu milieu, institutions, avec différents type de mandat comme ancien ministre de l'agri de leur pays). En fonction de la vision que les agriculteurs ont de l'agriculture, ils ont une palette pour faire leur choix. L'important, c'est d'aller voter. Surtout, qu'ils n'essaient pas de voter pour des gens qui ne se sont jamais intéressés de près ou de loin pendant cinq ans aux questions agricoles. Là effectivement il y a un problème. Les extrémistes n'ont jamais participé à la commission agricole. On n'a vu aucun d'eux intervenir sur ces questions. Au moins voter pour qu'il y ait des élus qui s'engagent dans l'agriculture. Je crains qu'on ne soit pas très nombreux, à nouveau...
Site : jose-bove.eu
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