Les pays du sud et de l'est de la Méditerranée (Psem) doivent aller vers la coopération multilatérale en termes d'échanges commerciaux agricoles et alimentaires, et non pas seulement vers l'Europe, s'ils veulent assurer leur équilibre territorial (politique, économique, social, et la sécurité alimentaire), selon une analyse publiée par le service de la statistique et de la prospective (SSP) du ministère de l'Agriculture.
Pour les Psem, dont les économies sont « tournées principalement vers l’exportation de pétrole et les services » au détriment d'une structure agricole fragilisée et trop peu productive au regard de sa population en forte croissance, cette coopération multilatérale est d'autant plus nécessaire que « la fracture entre les [pays des] deux rives se creuse », estime l'auteur de cette analyse, Hiba El Dahr, chargée de mission « Agriculture, développement et échanges internationaux » au SSP.
Mais pour y parvenir, relève-t-elle, « l’agriculture devra relever de nombreux défis pour accompagner les transformations à l’œuvre dans les sociétés riveraines » (explosion démographique et pouvoir d'achat, insécurité des approvisionnements alimentaires, déséquilibre des échanges agricoles, vulnérabilité environnementale, ou encore développement rural).
L’agriculture contribue « fortement aux économies nationales », notamment dans les pays sud-méditerranéens, en assurant « l’essentiel de l’emploi » à leurs populations rurales, précise Mme El Dahr. Selon les chiffres rapportés, le secteur emploie 20 % de la population active des Psem contre 5 % au Nord, ce qui représente 40 millions d’actifs agricoles et environ 17 millions d’exploitations – dont 70 % sur la rive sud.
Les mutations en cours « pourraient conduire à des crises majeures » si les modèles de développement de ces pays méditerranéens « n’intègrent pas à ce moment crucial la question agricole et rurale », prévient-elle.
Ainsi le renforcement des économies rurales d'après Mme El Dahr « pourrait notamment passer par les marchés agricoles à fort potentiel (agriculture biologique ou produits de terroir). Simultanément, le développement des agro-industries et les activités non agricoles comme l’écotourisme rural bénéficieraient aux populations locales en freinant la migration et en participant à la revitalisation des territoires ».
Pour les Psem, « l’objectif de diversification des économies appelle au développement des investissements dans l’agriculture ». Cela devrait se traduire par des politiques cohérentes alliant « l’impératif d’une sécurité alimentaire durable » et une « libéralisation maîtrisée des échanges », en réduisant notamment la dépendance aux importations.
Dans ce contexte, assure H. El Dahr, « la coopération multilatérale s’avère indispensable pour une meilleure intégration régionale » des Psem.
L'Europe en pleine réforme de sa Pac a son rôle à jouer, souligne Mme El Dahr, en arbitrant « entre la poursuite du dialogue agricole bilatéral, ouvert en 2006, et une coopération multilatérale en vue d’instaurer une ZLEEM (zone de libre-échange euro-méditerranéenne), en réflexion depuis 1995 (déclaration de Barcelone). Mais cette dernière, caractérisée par des échanges très asymétriques entre l’UE et les pays méditerranéens, s'est fracturée, « malgré les relations privilégiées établies entre l’UE et les pays partenaires méditerranéens », et le lancement du projet d’Union pour la Méditerranée (UpM). Ce dernier est fondé sur des priorités d’action axées sur le développement durable, nous explique-t-on.
Mais « l’intervention de plus en plus marquée des puissances émergentes dans la région, notamment les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine), est le signe que l’avenir de la Méditerranée pourrait basculer dans le multilatéralisme et que l’Europe serait susceptible de perdre sa place en tant que partenaire privilégié des Psem », pointe l'auteur.
L'Europe, l'analyse l'évoque encore en soulevant la possibilité d'une « méditerranéisation » de la Pac au niveau des Psem, apportant la sécurité alimentaire, en stimulant les changements structurels dans leurs agricultures et en améliorant les facteurs de productivité.
Ces évolutions allant vers la normalisation, la recherche de qualité et la durabilité des productions pourraient être fatales aux petites exploitations, avance l'auteur. Elle précise que déjà aujourd'hui, « seule une minorité de grandes exploitations tournées vers l’exportation est capable de se positionner sur les marchés internationaux, alors que l’agriculture traditionnelle familiale, dominante dans les Psem, peine à rivaliser avec un système agroalimentaire mondialisé qui approvisionne les marchés nationaux ».