Talonné par la concurrence chilienne sur le marché mondial, le pruneau d'Agen a failli disparaître. Depuis trois ans, les producteurs du sud-ouest de la France ont lancé un plan de reconquête et de modernisation des vergers pour retrouver leur place et viser, pourquoi pas, la Chine.
« On se regardait le nombril et on s'est vu trop beaux ». Taillé pour le rugby, l'autre spécialité du pays, Patrick Léger embrasse du regard ses arbres en contrebas. En avril, les vallons du Lot-et-Garonne ondulent sous les fleurs blanches des pruniers d'Ente, seule variété validée par l'Indication géographique protégée (IGP) du pruneau d'Agen. « Dans les années 90, les Chiliens sont venus ici, ils ont piqué notre savoir-faire et nos marchés avec des prix bien inférieurs. Nous, on rigolait ! On a failli mourir... », explique-t-il à l'AFP.
La taille moyenne d'une exploitation ne dépasse pas 15 à 20 ha ici, pour une récolte globale de 45.000 tonnes. Au Chili, elle dépasse les 300 ha. « On est des jardiniers à côté ! ». En quelques années, les Chiliens ont franchi la barre des 80.000 tonnes produites, juste derrière la Californie (100.000 tonnes). Mais quand le pruneau californien vise surtout le marché américain, le chilien vient taper les marchés européens : Scandinavie, Allemagne, Espagne et Italie. « Ils ont même tenté l'Algérie », chasse-gardée des Français avec 4.000 à 5.000 t/an, s'insurge le producteur. « Mais leurs fruits étaient trop petits ».
Resserrer les rangs
De 2009 à 2013, les 1.400 exploitations de pruneaux d'Agen vivent des temps difficiles et les transformateurs-confiseurs avec eux. La filière représente quelque 10.000 emplois dans une région qui en manque. Elle touche le fond. En réaction, elle lance un Plan de reconquête de la compétitivité (PRC) qui porte aujourd'hui tous ses espoirs. « L'objectif était de professionnaliser le métier de pruniculteur, avec un plan de rénovation des vergers », indique Jacques Pomies, président du Bureau interprofessionnel du pruneau, le Bip.
Cet hiver, 250 nouveaux hectares ont été plantés ; « l'objectif est d'atteindre 500 à 600 par an ». Des arbres plus resserrés pour augmenter la récolte sans accroître la surface actuelle (13.000 ha). « D'une production moyenne de 3,5 t/ha, on veut atteindre 6 t/ha », explique Jacques Pomies, avec des vergers densifiés jusqu'à 400 arbres/ha contre 200 aujourd'hui.
Dans son nouveau verger à Monségur, Patrick Léger, qui possède quelque 55 ha de pruniers, a conservé 3,50 mètres entre chaque arbre, contre 6 à 7 mètres traditionnellement. Au domaine de Ferussac, Vincent Lapierre va plus loin encore : son nouveau verger (il a 12 ha au total), planté mécaniquement « en mur fruitier » avec assistance GPS - « 3 ha plantés/jour à trois personnes » - ne laisse qu'1,60 m entre les arbres et 4,50 m entre les rangs, juste de quoi laisser passer les tailleuses. Irrigué par micro-aspersion, ce verger est aussi tendu de filets anti-grêle. « C'est un verger qui demande à faire ses preuves », reconnaît-il : l'investissement est lourd, 45.000 à 50.000 euros/ha, contre 30.000 €/ha d'ordinaire. « On espère atteindre les 12 t/ha, 15 peut-être. Sans rentabilité, on n'attirera pas de jeunes ». « C'est comme de passer de la 2 CV à la Formule 1 » commente Patrick Léger. « On sait pas si on sait faire ».
La densification des arbres leur permet de mieux résister aux tempêtes qui déchirent parfois la région, de plus en plus fréquentes, plus sauvages aussi avec les changements climatiques.
Garder le marché européen
Comme les deux tiers des producteurs de pruneaux, Vincent Lapierre et Patrick Léger sèchent eux-mêmes leur récolte dans des fours à gaz, pendant une vingtaine d'heures à 70°C. En pleine récolte, de la mi-août à la mi-septembre, ils carburent sans relâche, dans les effluves de prune et de caramel. La plupart des pruniculteurs diversifient cependant leur production, en noisettes en particulier. « En une heure de grêle, on peut tout perdre », justifie Patrick Léger.
Le Plan de reconquête commence à porter ses fruits, affirme Jacques Pomies. « Le chiffre d'affaires de l'IGP atteint aujourd'hui 10 à 12.00 euros/ha. En 2013, c'était trois fois moins ».
A la faveur de la nouvelle PAC, le pruneau d'Agen a obtenu 12 millions d'euros par an jusqu'en 2020. « L'objectif est de produire sans aide à cette date », confie le président du Bip, qui espère atteindre les 60.000 tonnes à terme.
Les confiseurs rêvent de conquérir la Chine, mais « le marché européen, qui représente 90.000 tonnes, est aussi le plus rémunérateur. C'est lui qu'il faut conserver ».