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La grève du lait est déclenchée. «J'appelle à l'ouverture des vannes dès ce soir», a lancé Pascal Massol, président de l'Apli (Association des producteurs de lait indépendants), sous les applaudissements de quelques centaines d'éleveurs, français et étrangers (belges, allemands...), rassemblés sur l'esplanade des Invalides à Paris.
Il a rappelé que cette grève est «un acte volontaire, individuel, pris en son âme et conscience. Cette grève est lancée pour une durée indéterminée. Je l'espère la plus forte et la plus courte possible. J'appelle tous les élus à nous soutenir et tous les éleveurs, à oublier toute étiquette, toute appartenance pour devenir un gréviste européen».
Le lait sera distribué gratuitement. Le surplus partira dans la fosse à lisier, pour ne pas polluer. Aucun blocage ni dégradation ne seront tolérés.
«Il est de notre devoir de nous battre jusqu'au bout et d'imposer un projet éthique; il en va de notre survie, a déclaré Pascal Massol. Ce n'est pas utopique, c'est le souhait de tous, sauf de quelques spéculateurs. Puisque nos revendications sont restées vaines, seule la grève peut interpeller. Et puisque notre matière n'a plus de valeur, nous ne livrerons plus notre matière.» Il a déclaré que certaines laiteries ont doublé les tournées jeudi matin, pour collecter tous les tanks.
Daniel Condat, président de l'Organisation des producteurs de lait (OPL, branche de la Coordination rurale), a ensuite pris la parole. «Cette grève va coûter cher à tout le monde; je ne souhaite pas qu'elle dure, mais notre détermination est là et ils vont la voir», a-t-il prévenu. «Depuis des années, on nous dit que nos voisins sont plus performants, ont des prix plus bas, a-t-il ajouté, soulignant que ce même discours est tenu chez lesdits voisins. On nous plombe ainsi les uns après les autres. Tous les producteurs européens ont le même problème: des prix dérisoires. Dispersés, nous ne ferons rien. Ensemble, nous ferons tout. Il faut obliger les politiques à étudier notre projet.»
Les responsables syndicaux de plusieurs pays de l'UE se sont également succédé à la tribune. Romuald Schaber, président de l'EMB (European Milk Board), a expliqué que «la situation pour les éleveurs est intenable dans tous les pays de l'UE, ils sont dos au mur. Nous craignons de nombreuses faillites dans les mois à venir».
Les déclarations des responsables politiques, à l'issue du Conseil des ministres européens de lundi, montrent qu'ils ne comptent pas infléchir leur politique. La libéralisation des marchés est «un échec total, a-t-il estimé. Les prix ont chuté, la Commission a dépensé beaucoup d'argent mais la situation des agriculteurs ne s'est pas améliorée, et il n'y a aucune perspective d'amélioration dans les mois à venir».
L'EMB réclame donc un changement de direction de la politique laitière. A court terme, il faut mettre en place des mesures de gestion des volumes afin de résorber les excédents: obligation aux producteurs de respecter leur quota, gel de la hausse de 1% des quotas prévue pour la campagne 2010-2011, possibilité de gel volontaire contre une compensation financière.
«Il est plus raisonnable d'utiliser les fonds européens pour produire, mais moins, plutôt que pour stocker les surplus», a-t-il expliqué. A moyen terme, il faut prendre des mesures à l'échelle européenne: créer une instance de contrôle européenne, dans laquelle sont représentés tous les acteurs de la filière laitière (producteurs, transformateurs, consommateurs et politiques). Pour assurer l'efficacité de cette instance, il est nécessaire de fixer un cadre juridique.
Romuald Schaber a ensuite cédé la place aux représentants belge, hollandais, danois, italien, suisse, autrichien, luxembourgeois... Tous affirment qu'ils vont entamer une grève du lait dès ce soir, individuellement, par solidarité avec les éleveurs français. En revanche, ils n'ont pas appelé formellement à la grève dans leurs propres pays.
Romuald Schaber s'en explique: «En Allemagne, une loi ''des cartels'' interdit formellement ce genre d'appel à l'interruption des livraisons. Nous gérons la communication autrement. Mais je ne livrerai pas mon lait, et je suis sûr que les éleveurs allemands vont comprendre qu'ils doivent soutenir les éleveurs français». L'an dernier, le BDM, le syndicat allemand membre de l'EMB, avait appelé à la grève, mais il a par la suite été «embêté juridiquement», précise Pascal Massol. Il va être plus subtil cette année, mais «les producteurs allemands sont informés», a-t-il rassuré.
Les Danois et les Espagnols, ligotés par leurs emprunts auprès des banques et par leurs contrats auprès de leur laiterie, n'arrêteront pas leurs livraisons, mais aucun camion de lait ne passera leurs frontières, afin de ne pas casser le mouvement, promet Pascal Massol.
Une fois la grève entamée, comment en sortir? «On va forcément entamer des négociations en France et dans l'UE, estime Pascal Massol. Nos conditions: remonter le prix du lait, retirer du lait du marché et coller la production à la consommation. Sinon, ce sera du gaspillage et du dumping sur le marché mondial.»
Quant au terme «quotas laitiers», il ne figure plus dans les revendications. Pascal Massol s'en explique également. «Des quotas rigides comme aujourd'hui, ça ne marche pas puisqu'on est sous le régime des quotas et qu'il y a trop de lait», a-t-il constaté. Il faut plutôt mettre en place des quotas souples. Les éleveurs doivent également pouvoir discuter des volumes, mais avec une représentativité des producteurs autre qu'aujourd'hui. Et ces discussions doivent avoir lieu dans une interprofession européenne, du producteur au consommateur, grande distribution incluse.
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