À travers les jachères apicoles, les apiculteurs impliqués dans le Réseau Biodiversité pour les abeilles cherchent en premier lieu à prémunir leurs colonies contre toute insuffisance dans les approvisionnements en pollen. Improprement surnommé « le pain des abeilles », le pollen constitue en effet de la seule et irremplaçable source de protéines pour la colonie. Les jeunes ouvrières s’en servent pour constituer une « bouillie » (eau, miel, pollen), réservée aux larves amenées elles-aussi à devenir des ouvrières. La moindre carence protéique à ce stade conduit à la formation d’insectes plus chétifs, moins résistants et avec certains organes atrophiées. Ces le cas des glandes hypopharyngiennes qui sécrètent la gelée royale nécessaire à la reine et aux très jeunes larves.
Approvisionnement permanent
Avec l’appauvrissement de la biodiversité florale, se pose le problème de l’approvisionnement continu des colonies durant toute la saison. Les abeilles commencent à trouver du pollen au printemps sur noisetier, saule marsault avant que les pissenlits puis différentes rosacées prennent le relais. En plaine, l’approvisionnement connaît un pic avec les floraisons de colza, puis chute brutalement au moment-même où les colonies ont le plus de besoins. Cette disette protéique va s’étaler sur plusieurs semaines jusqu’à la floraison des tournesols.
Selon le Pr Frans Jacobs, qui étudie la valeur nutritive des pollens à l’université de Gand (Belgique), une colonie a besoin de 30 à 40 kilos de pollen durant le printemps. Elle passe en effet de 15 000 - 20 000 abeilles à la sortie de l’hiver à 60 000 - 80 000 en mai. Là où est établi un rucher de vingt colonies, il incombe donc aux butineuses de glaner entre 600 et 800 kilos de pollen dans un rayon de 3 km autour de la ruche.
Et ce n’est pas tout, le pollen doit avoir une certaine valeur en protéines et acides aminés, comme le démontrent les travaux du Pr Jacobs. Après avoir isolé de petites colonies d’abeilles à l’intérieur de cagettes, ils les a nourries les unes exclusivement avec du miel, les autres avec du miel et du pollen trié selon ses origines florales. La rapide régression des colonies nourries exclusivement avec du miel confirme que les abeilles ont bien besoin d’une alimentation protéique. Pour les colonies ayant reçu du pollen, les mesures d’espérance de vie vont de + 5 jours avec du pollen de tomate à + 28 jours avec du pollen de fraisier. Les colonies ayant reçu un mélange de différents pollens s’en sortent bien elles aussi avec 27,5 jours d’augmentation d’espérance de vie par rapport au témoin.
Les conclusions de ces travaux sont confirmés par ceux de Petru Moraru, directeur de l’Institut de recherche et de développement pour l’apiculture à Bucarest (Roumanie). Il a travaillé sur cinq lots de ruches, les unes limitées en apports protéiques, les autres en ayant à volonté du pollen et des protéines d’origine lactée. Les colonies en déficit protéique ont toujours été à la traîne pendant la phase de développement au printemps. Au bout de trois mois, leur effectif était deux fois moins important que celui d’une colonie normalement pourvue et leur récolte de miel a été elle aussi divisée par deux.
Abeilles plus sensibles
De son côté, Michel Aubert, directeur de l’unité « Santé de l’abeille » à l’Afssa de Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes), confirme que les abeilles ayant subi des carences alimentaires durant leur stade larvaire sont plus sensibles aux agressions de l’environnement et même à certains produits phytosanitaires.
Préoccupation récente, parce qu'occultée par la focalisation sur les insecticides en enrobage de semences, la problématique de l’alimentation protéique des abeilles pourrait être une explication aux questions de mortalité et de chute de production observés depuis plus de dix ans. Elle n’est pas la seule : l’Afssa continue d’alerter la profession sur la forte prévalence de certaines maladies et parasites : acariose, nosemose et varroa. Maladies contre lesquelles il n’y a plus de médicaments bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché et parasites qui présentent de plus en plus de résistances aux traitement actuellement autorisés.