Imperméable aux critiques des capitales européennes, mais fidèle à une promesse faite à Washington, Bruxelles va annoncer mercredi un projet de réintroduction des poulets américains «à la javel» agrémentée néanmoins de conditions draconiennes.
«C'est inacceptable!»: unions de consommateurs, d'agriculteurs et de défenseurs de l'environnement européens sont montés au créneau, à la veille de l'annonce, en envoyant une lettre commune à la Commission européenne.
La méthode radicale privilégiée par les Américains vise à tuer ou réduire le nombre de bactéries pouvant apparaître dans la volaille, essentiellement les salmonelles et les campylobacters, en les trempant dans une solution antimicrobienne juste avant leur consommation.
Les vétérinaires de l'UE privilégient des contrôles d'hygiène tout au long de la chaîne alimentaire.
La semaine dernière, vingt et un des vingt-sept ministres européens de l'Agriculture se sont prononcés contre le retour des poulets chlorés américains, bannis depuis 1997. Un refus confirmé mardi lors d'une réunion des ministres en Slovénie. «C'est à mon avis une décision totalement erronée», a fustigé le ministre allemand de l'Agriculture Horst Seehofer. «Comment voulez-vous que j'explique cela à mes paysans?» soumis à une réglementation d'hygiène très stricte, s'est-il interrogé.
Son homologue français Michel Barnier s'est montré tout aussi intransigeant. «La quasi-totalité des ministres ont dit clairement qu'il n'en était pas question, les Américains peuvent avoir le modèle alimentaire qu'ils veulent, on n'est pas obligé de le transférer en Europe et donc nous nous opposerons à cette idée», a-t-il prévenu.
«Il en va d'une certaine idée de la qualité alimentaire que nous nous faisons», a-t-il insisté. Le projet, apparemment déjà tué dans l'oeuf, a surtout pour finalité d'honorer une promesse faite en novembre dernier à Washington par le commissaire européen à l'Industrie Günter Verheugen.
Le responsable allemand a mené une campagne au bulldozer pour que ce projet de texte soit mis sur la table à temps pour un sommet UE-USA, prévu le 10 juin en Slovénie et auquel doit assister le président George W. Bush.
Face au concert de désapprobation, la nouvelle commissaire à la Santé, Androula Vassiliou, s'abstiendra mercredi de toute apparition devant la presse.
Elle-même peu enthousiaste à l'idée de déguster des poulets trempés dans une solution chimique, elle a apparemment multiplié les garde-fous dans son projet de règlement. Le poulet ou les préparations à base de viande devront être clairement identifiés par un étiquetage pour informer les consommateurs européens, selon une copie du texte qui doit être approuvé formellement mercredi. Les Américains devront rincer à l'eau potable les poulets, une fois qu'il auront été désinfectés, et l'efficacité de ce rinçage devra être vérifiée en permanence.
Si le projet autorise à nouveau dans l'UE quatre substances chimiques utilisées aux Etats-Unis pour désinfecter la surface des poulets (dioxyde de chlore, chlorure de sodium acidifié, phosphate trisodique, acides peroxydés), leur utilisation est assujettie à de fortes contraintes.
Le texte stipule leur concentration maximale ou leur temps de contact avec les carcasses, tandis qu'une seule substance chimique pourra être appliquée (pour limiter les risques éventuels des mélanges). Leur entrée dans l'UE serait décidée à titre provisoire pour deux ans, période pendant laquelle de nouveaux avis scientifiques seraient demandés. Il s'agira de voir si elles peuvent entraîner par exemple une tolérance accrue de l'organisme à certaines bactéries ou si elles peuvent présenter des risques environnementaux.