Les réseaux de semences paysannes cultivaient de réels espoirs depuis le mois de janvier, après l'avis donné par l'avocate générale de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par la cour d'appel de Nancy dans l'affaire qui oppose l'association Kokopelli au semencier Graines Baumaux.
La CJUE était interrogée sur la validité de deux directives européennes qui régissent le droit sur la commercialisation des semences de légumes, alors que Kokopelli était poursuivi par Baumaux pour concurrence déloyale. L'association condamnée en janvier 2008 par le tribunal de grande instance de Nancy vendait des graines potagères anciennes ou de collection à des jardiniers amateurs, similaires pour 233 d'entre elles aux produits de Baumaux, mais ne figurant pas dans les catalogues officiels, ni le catalogue français, ni le catalogue commun des variétés des espèces de légumes.
Le jugement rendu le 12 juillet 2012 par la CJUE vient de doucher leurs espoirs. Contre l'avis de son avocate générale Me Kokott, la cour considère que l'Europe a raison d'imposer l'obligation de ne commercialiser que des semences de légumes recensées dans des catalogues officiels, d'autant qu'elle prévoit des dérogations sous strictes conditions pour les semences anciennes.
Le 19 janvier, l’avocate générale à la CJUE avait estimé que l’interdiction de commercialiser des semences « anciennes » de légumes non officiellement admises au catalogue de l'UE « est invalide en ce qu’elle viole le droit de l’Union » dans son « principe de proportionnalité », de « liberté d’entreprise », de « libre circulation des marchandises », et du « principe d’égalité de traitement ». Elle appelait la CJUE à annuler l'obligation de cataloguer les semences commercialisées.
Mais finalement, assure la CJUE dans son arrêt du 12 juillet, sur fond de litige entre l'industrie des semences et les défenseurs des variétés de semences « anciennes » non homologuées, n'autoriser à la vente que des semences admises dans des catalogues permet d'améliorer la productivité des cultures de légumes.
En même temps, le droit européen permet aussi des dérogations pour les variétés anciennes, non cataloguées, afin d'assurer la conservation des ressources génétiques des plantes, a souligné la Cour.
La Cour de justice relève que l'objectif premier des lois européennes en vigueur « consiste à améliorer la productivité des cultures de légumes » en Europe, et de garantir que les semences commercialisées dans l'UE répondent toutes aux mêmes exigences.
Par ailleurs, les dérogations prévues « prennent en compte les intérêts économiques des opérateurs, tels que Kokopelli, qui offrent à la vente des variétés anciennes qui ne satisfont pas aux conditions d'inscription aux catalogues officiels, puisqu'elles n'excluent pas la commercialisation de ces variétés », juge la Cour.
La commercialisation des variétés anciennes est soumise à des restrictions géographiques, quantitatives et de conditionnement pour « assouplir » la loi « tout en évitant l'apparition d'un marché parallèle de ces semences, qui risquerait d'entraver le marché » des semences cataloguées, soulignent les juges de la CJUE à Luxembourg.
L'avocate générale supportait l'idée d'obligation d'un « étiquetage permettant d’assurer l’information et la protection du consommateur, lorsque la variété de semences ne répond pas aux exigences du catalogue des variétés » en alternative suffisante à l'interdiction « disproportionnée » de commercialiser des semences de variétés non admises. Là aussi, la CJUE l'a prise à contre-pied.
« Une mesure moins contraignante, telle que l’étiquetage, ne constituerait pas un moyen aussi efficace (que l'interdiction de commercialiser ces semences, NDLR) puisqu’elle permettrait la vente et, par conséquent, la mise en terre de semences potentiellement nuisibles ou ne permettant pas une production agricole optimale. Dès lors, le principe de proportionnalité n’est pas violé. »
Chez les semenciers, la satisfaction était entière jeudi à l'annonce du jugement. L'ESA, l'organisation représentant les semenciers européens, s'en est dite « très satisfaite ». Il arrive « à un moment très important », car « la Commission avait besoin de cette confirmation légale de la Cour pour finaliser sa proposition révisant la législation européenne sur la commercialisation des semences », a souligné dans un communiqué son secrétaire général, Garlich von Essen.
Au niveau français, l'union des semenciers (UFS) précise que « cette décision profitera à la révision de la législation semences européenne en cours ».
Elle loue dans un communiqué la « grande sagesse » de la CJUE. Elle « salue cette décision qui confirme la validité du système garantissant la loyauté des transactions et la protection du consommateur par l’identification des variétés ».
« Désormais, le cadre juridique dans lequel s’exerce la mise sur le marché des semences est clair, qu’il s’agisse de produire ou de commercialiser des variétés anciennes ou des variétés nouvelles », estime l'UFS.
« La finalité et la cohérence de l’actuelle réglementation semences se trouvent donc confirmées vis à vis du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne. L’inscription au catalogue officiel est bien la voie incontestable permettant aux variétés végétales, nouvelles ou anciennes, d’accéder au marché », se félicite l'UFS.
Elle « réitère son souhait de voir adopter par l’Union Européenne une réglementation soutenant le dynamisme de la recherche sur le long terme ». C'est « indispensable » selon elle « pour satisfaire les besoins alimentaires, tant quantitatifs que qualitatifs, favoriser la compétitivité des filières agricoles et agro-alimentaires, et apporter des solutions aux demandes environnementales ».
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