Le directeur de l'Institut agronomique méditerranéen de Montpellier, Vincent Dollé, déclare que «la politique du moins cher ailleurs arrive à ses limites», en soulignant que les pays du sud et de l'est de la Méditerranée sont très dépendants des importations pour leur alimentation. Les produits méditerranéens «doivent permettre de produire un revenu et des emplois locaux et de l'activité créant un réel développement», estime-t-il.
Vincent Dollé est l'un des auteurs du rapport «Méditerra» 2008 du Ciheam (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes), une organisation intergouvernementale rassemblant treize pays membres.
La France Agricole: Quel est l'enjeu des céréales dans le bassin méditerranéen?
Vincent Dollé : Les balances commerciales agricoles des pays du sud et de l'est de la Méditerranée (PSEM) ont connu une dégradation importante. Depuis les années 1970, ces pays ont une situation chronique de dépendance alimentaire et certains Etats comme l'Algérie ou l'Egypte ont désormais des déficits structurels lourds. En cause: les céréales, base de l'alimentation des habitants de cette région. Les Méditerranéens, qui représentent 7% de la population mondiale, importent 22% des importations mondiales.
Depuis les années 1960, les besoins céréaliers de l'Egypte ont quadruplé et même quintuplé en Algérie. Avec l'augmentation du prix des céréales, il devient de plus en plus difficile en ville d'accéder aux produits carnés et laitiers. Résultat: les émeutes de la faim se multiplient. En réaction, les importations nettes céréalières ont été multipliées par 21 en Algérie, par 20 au Maroc, par 13 en Tunisie et par 4 en Egypte.
On peut imaginer que c'est une opportunité d'exportation pour les pays du nord de la Méditerranée. Mais leurs principaux fournisseurs sont les Etats-Unis, l'Australie, l'Argentine ou encore la Russie. En France, le blé dur pourrait faire exception si des accords de filières étaient mis en place, par exemple pour exporter des céréales et importer des phosphates naturels du Maroc ou des produits azotés d'Egypte.
Comment les gouvernements s'adaptent-ils?
L'Agérie dispose d'une réserve de devises qui lui permet de subventionner massivement le coût de la farine et de stocker en grandes quantités des céréales importées. La Tunisie autorise les boulangers à réduire le poids des baguettes pour maintenir son prix. Ces solutions ne sont pas pérennes et les PSEM doivent très rapidement repenser leur politique de sécurité alimentaire, quitte à raisonner en politiques un peu plus protectionnistes mais OMC compatible.
L'enjeu est de favoriser les productions locales, surtout par un appui aux producteurs (accès aux crédits pour semences de qualité, appui technique pour le système de production, système d'irrigation de complément...).
La politique du moins cher ailleurs arrive à ses limites. Prenez l'exemple des tomates de Souss Massa-Drâa (sud d'Agadir, Maroc). Elles sont produites en puisant fortement sur les ressources en eau, denrée rare, avec une valeur ajoutée locale très faible puisque la logistique, les techniques et les serres sont importées. Ensuite, elles sont transportées par camion sur 3.000 km pour être déshydratées et transformées en concentrés dans le nord de l'Europe pour être réexportées sur la rive sud de la Méditerranée sous forme de concentrés... Il va falloir intégrer ces données dans l'analye des échanges économiques et mieux localiser où se situe réellement la valeur ajoutée pour le Sud en termes de revenus, d'emplois et d'activités économiques.
Quelle est l'influence de la politique agricole commune (Pac)?
La Pac aussi doit être repensée autour du rôle plus central de l'agriculture pour le développement aussi bien au nord qu'au sud. Elle doit prendre en compte la multifonctionnalité, la durabilité, la gestion des ressources, etc. Elle doit ouvrir ses crédits (Feader) aux pays du bassin.
Le projet présidentiel d'Union méditerranéenne ne doit pas être uniquement attendu comme un marché au sud de la Méditerranée pour la France. Il faut imaginer l'exportation non plus uniquement de denrées mais aussi de notre capacité d'organisation des filières, de notre savoir-faire. Il faut inventer une complémentarité entre le Nord et Sud et tordre le cou à l'idée reçue selon laquelle les produits du Sud vont envahir le Nord. En effet, les relations commerciales entre les deux rives de la Méditerranée sont faibles et asymétriques. Les PSEM ne représentent que 10% des échanges de l'Union européenne.
Quelles sont les pistes pour l'avenir?
Il faut chercher à mieux valoriser la qualité et l'origine des produits méditerranéens. La diète méditerrannéenne doit être constituée de produits réellement méditerranéens, il faut éviter qu'à l'avenir elle soit constituée d'olives de Californie, d'oranges du Brésil, de tomates de Chine et de couscous avec du blé ukrainien. Les produits méditerranéens doivent prendre en compte la qualité, la tradition et le savoir-faire méditerranéens. Ils doivent permettre de produire un revenu et des emplois locaux et de l'activité créant un réel développement en Méditerranée.
Cette révolution ne se fera pas sans la grande distribution dont le système est en plein essor, mais qui achète plus facilement des produits standardisés, de qualité garantie, souvent issus de la rive nord de la Méditerranée ou d'ailleurs dans le monde. Il faut rebrancher les produits méditerranéens dans les circuits de distribution pour les marchés nationaux. Cela passera indispensablement par une organisation des filières de production, un renforcement des organisations de producteurs et des organisations de mise sur le marché.
Si l'on parle d'industrie agroalimentaire dans le bassin méditerranée, il faut porter un regard particulier sur la Turquie. Longtemps exportatrice de produits alimentaires, le bilan de sa balance commerciale devient nul depuis 2000 et parfois même négatif. En cause, les accidents climatiques récents, mais surtout, le pays importe des produits alimentaires pour les transformer et puis les exporter. Elle devient une puissance agroalimentaire incontournable en Méditerranée qui va compter de plus de plus en plus, il faut en tenir compte.