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Génétique: prouesses et promesses

La pression sociétale contraint les sélectionneurs à accélerer l’intégration de nouveaux critères dans leurs programmes. La génomique s’annonce comme l’outil incontournable pour répondre à cette demande et améliorer l’efficacité de la sélection.

Le citoyen est de plus en plus exigeant avec le monde agricole. Il se préoccupe de la sécurité sanitaire des aliments, de leur qualité diététique, d’environnement, du bien-être animal… Et surtout, il s’organise pour que son message parvienne aux politiques, comme lors du Grenelle de l’environnement. Dans les conclusions de ce dernier est inscrite noir sur blanc la généralisation, dès 2008, dans le dispositif d’évaluation des variétés, de leur dépendance vis-à-vis de l’eau, des pesticides, de l’azote. Il est même question d’étendre cette mesure aux variétés actuellement les plus cultivées déjà inscrites. L’objectif est de promouvoir des variétés «rustiques» plutôt que des «Formule 1».

Bref, dans notre société, la productivité semble vouée au ban au profit de la durabilité. Voilà le défi qui s’ouvre au monde de la sélection, qu’elle soit animale ou végétale. Avec une contrainte de taille: ces nouveaux critères ne sont pas toujours facilement mesurables et sont moins héritables que les performances de production. Autrement dit, ils se transmettent moins facilement d’une génération à l’autre, nécessitant une évolution des outils du sélectionneur. Outre la transgénèse, la génomique s’affiche comme une pierre angulaire de l’amélioration des espèces.

Il ne s’agit pas pour autant de mettre au panier les outils qui ont assuré le succès de la sélection des dernières décennies. «La génétique quantitative n’est pas morte, insiste Philippe Lecouvey, directeur de l’Institut technique du porc (Ifip). Bien au contraire. On aurait pu penser qu’elle devienne obsolète, mais ce n’est pas le cas.» Il y a en effet des secteurs où la génomique n’est pas suffisamment avancée. «Les cages collectives ou la ponte au sol favorisent le piquage et le cannibalisme chez la poule pondeuse, illustre Bernard Coudurier, de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Il existe des travaux utilisant la génétique quantitative pour sélectionner des animaux avec de bonnes aptitudes de ponte et dont le comportement ne pose pas de problèmes majeurs.»

Il ne s’agit pas non plus de sacrifier les objectifs de sélection actuels, ceux qui ont, par exemple, permis d’améliorer les rendements ou la production laitière depuis la Seconde Guerre mondiale. Car le citoyen a tendance à oublier qu’il est aussi consommateur. «Les filières évoluent dans un contexte économique n’autorisant pas n’importe quoi en termes de coût de production, constate Bernard Coudurier. Il existe une dimension économique dans la durabilité des systèmes. Il faut aussi produire à un coût acceptable pour le consommateur. C’est pourquoi les critères de productivité ne disparaîtront pas.» L’indice de consommation, à une époque où les matières premières deviennent rares et chères, s’affiche comme un critère de durabilité. «Un animal qui consomme moins, c’est moins d’intrants et de rejets», poursuit Bernard Coudurier.

 

 

La durabilité s’impose

Chez les végétaux aussi, la productivité reste un des principaux critères de sélection, car des besoins s’expriment (voir l'article "Crise alimentaire: sortir des politiques d'urgence" paru dans "La France agricole" n° 3232, du 25 avril 2008, en page 12). «En blé, le progrès génétique ne faiblit pas, explique Jack Massé, d’Arvalis-Institut du végétal. Il est évalué à environ 0,7 q/ha/an dans l’évolution du rendement qui, lui, progresse au total d’environ 1,2 q/ha/an depuis les années 1950.» Pour le tournesol, longtemps le parent pauvre de la recherche, la filière a décidé d’investir massivement sur cet oléagineux pour améliorer sa compétitivité. Un des volets du programme «Tournesol 2010» est consacré à la génomique.

Au-delà des critères de productivité, sont venus s’ajouter des objectifs de qualité: la teneur en protéines, celle en huile, la digestibilité des maïs… Il y a sept, huit ans, le défi était de créer des blés riches en protéines. Aujourd’hui, plus de 90% des variétés sont panifiables. «Le rendement c’est bien, mais il faut aussi que le blé obtenu soit interventionnable et vendable», argumente Bruno Desprez, directeur général de Florimond-Desprez.

Les nouveaux débouchés appellent également de nouvelles recherches. Avec le développement des biocarburants et de la chimie verte, des travaux sont conduits pour obtenir des plantes à fort rendement en biomasse ou encore pour optimiser la production de mélasse de betterave. «On regarde maintenant la sélection de ces éléments alors qu’auparavant on les contre-sélectionnait, poursuit Bruno Desprez. On va aussi de plus en plus sélectionner des plantes réservées à des filières de production à haute valeur ajoutée comme les solvants, les antioxydants…»

D’autres critères que le couple rendement-qualité orientent aujourd’hui les programmes des semenciers. En premier lieu la résistance aux maladies, comme la septoriose, la fusariose, la rouille pour le blé, le phoma pour le colza, le mildiou pour le tournesol et la pomme de terre, la cercosporiose pour la betterave… Avec des molécules phytosanitaires de moins en moins nombreuses et de plus en plus contrôlées, les variétés économes en passage de fongicides s’imposeront. Autre voie de sélection qui a le vent en poupe: la tolérance au stress hydrique, notamment en maïs. Car toute plante stressée est plus vulnérable aux maladies. Dans les essais, le rendement du maïs est désormais envisagé dans des conditions limitantes en eau; ce n’était pas le cas auparavant.

Il y a aussi la recherche de variétés présentant une meilleure efficience à l’azote, une orientation qui prend aussi tout son sens avec l’envolée des cours des engrais azotés. Des travaux de recherche sont conduits pour mieux évaluer l’efficience de l’azote absorbé et les transferts entre les feuilles et le grain. «Dans les années à venir, la création variétale va renforcer les travaux sur la physiologie des plantes, confirme Olivier Leblanc, responsable du développement chez CC Benoist (filiale de Syngenta Seeds). Car on a déjà fait beaucoup concernant leur structure, notamment en céréales, et il n’y a plus grand-chose à gagner excepté en termes de fertilité d’épis. On travaille par exemple sur la prospection racinaire des variétés pour la résistance aux stress et la valorisation de l’azote, la vitesse de remplissage du grain qui joue sur le poids spécifique.» C’est moins vrai en oléagineux, où des travaux cherchent à améliorer l’architecture des plantes afin d’optimiser la réception de la lumière.

La sélection animale a elle aussi son lot de nouvelles contraintes. Le réchauffement climatique, par exemple: on reproche aux ruminants de trop péter. «Nous savons que le rumen héberge une flore sélectionnée par le système immunitaire de l’animal, détaille Didier Boichard, chef du département de la génétique animale à l’Inra. Nous pouvons imaginer sélectionner des animaux dont la flore serait moins méthanogène. Chaque fois qu’il y a un souci, nous pouvons tenter quelque chose. L’objectif de sélection est un choix. Le problème est que ces critères n’ont pas tous un poids économique. Il faudra leur en donner un qui soit palpable pour le sélectionneur.»

La difficulté est aussi d’avoir une vision sûre à long terme de ce que sera le marché en volume et en qualité entre sept et dix ans après le démarrage d’un programme de recherche. «Pour orienter les schémas de sélection, il faudra non seulement prendre en compte les aspects économiques, climatiques et environnementaux mais aussi les changements sociologiques qui définissent comment nous allons manger demain, estime Olivier Leblanc. On va ainsi manger plus vite, différemment, peut-être avec moins de pain mais de couleurs différentes, avec plus de fibres et des apports nutritifs complémentaires. La baguette devra se conserver plus longtemps, avec une couleur de la mie plus crème et plus de goût. En intégrant tous ces critères, on assiste aujourd’hui à un virage à 180°: on ne va plus sur des variétés banalisées mais sur des variétés considérées comme des innovations technologiques.»

 

Améliorer des critères difficiles à mesurer

Dans ce contexte, quels seront donc les apports de la génomique? «Elle nous aidera sur les caractères difficiles à mesurer, assure Didier Boichard. N’importe quel critère, s’il est variable, peut être sélectionné.» Le chercheur ne s’interdit aucune piste. «Nous travaillons déjà sur la teneur en matières protéique et grasse du lait, poursuit-il. Pourquoi ne pas imaginer une sélection sur la composition en acides gras du lait qui répondrait aux canons de la diététique.» Il en va de même pour la viande. Il serait intéressant de réduire sa teneur en matière grasse totale tout en améliorant le persillé.

«Grâce aux nouveaux outils de la génomique, on va plus loin dans les objectifs de sélection, par exemple pour les maladies virales pour lesquelles les tests coûtent très cher et qui sont difficiles à expérimenter (mosaïque de l’orge, nanisme…), estime Bruno Desprez. Autre intérêt: le diagnostic est moins destructif.» La sélection assistée par marqueur permet aussi d’aller plus vite pour la sélection de plantes présentant plusieurs gènes de résistance aux maladies, par exemple. L’objectif étant maintenant de sélectionner du matériel stable dans le temps. «L’idéal est de pouvoir empiler plusieurs gènes de tolérance partielle dans un même individu pour complexifier le système et éviter le contournement de la résistance variétale», expose Jack Massé.

 

Tout le monde n’avance pas au même rythme

Du côté de l'animal, toutes les filières ne sont pas aussi avancées dans l’utilisation de la génomique. Le secteur du bovin à viande a initié un programme de recherche de QTL en 2003. Les chercheurs s’attachent à mettre en relation le patrimoine génétique de 3.355 jeunes bovins charolais, limousins et blonds d’Aquitaine avec les qualités sensorielles et intrinsèques de leur viande. Cela devrait permettre de travailler sur la tendreté et le persillé de la viande.

La race limousine s’est, elle, lancée seule dans un programme de recherche de marqueurs pour les qualités maternelles. «Très peu de chose existe dans ce domaine, souligne Marc Gambarotto, directeur de la stratégie et de la communication de France Limousin sélection. Nous sommes partis pour un programme de deux ans. C’est un délai raisonnable pour de premiers résultats.» Le patrimoine génétique de 220 taureaux agrées pour leurs qualités maternelles sera passé au crible pour repérer les portions intéressantes et améliorer les outils de sélection. «C’est surtout la possibilité d’éliminer des animaux avant testage qui nous intéresse, continue-t-il. Cela nous permettra de réduire les coûts, et surtout, nous voulons que les professionnels restent les maîtres de la sélection plutôt que d’abandonner la tâche à des firmes privées.»

Chez le porc, le monde de la sélection s’est emparé de la génétique moléculaire dans les années 1990. Cela a, par exemple, abouti à l’éradication du gène halotane dans les populations landrace. «Puis, dans les années 2000, certaines firmes privées se sont targuées d’avoir trouvé des marqueurs et de vouloir les breveter, se souvient Joël Bidanel, responsable du pôle génétique de l’Ifip. C’est ce qui a conduit les organismes de sélection français à constituer Bioporc. Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour.» Les spécialistes s’intéressent à des critères difficilement exploitables avec les outils de sélection classiques. Il peut s’agir de la qualité de la viande, de la stimulation des défenses immunitaires, ou encore de l’aptitude des truies à vivre en groupe. «Nous sommes en pleine réflexion, note Philippe Lecouvey, directeur de l’Institut du porc. Nous avons encore du mal à matérialiser les techniques et les outils. La question est de savoir comment intégrer ces connaissances à la sélection. C’est pourquoi nous formons une personne à la jonction de la génomique et de la génétique quantitative.»

C’est le secteur de la vache laitière qui a le plus intégré la génomique aux programmes de sélection. Il existe un programme de sélection assistée par marqueur (Sam) depuis 2001. «La mutualisation des moyens a autorisé l’accès à des outils performants, insiste Alain Malafosse, ancien directeur adjoint de l’Union nationale des coopératives d’élevage et d’insémination animale (Unceia). La recherche coûte cher. Et, pour l’instant, la Sam n’a pas généré de chiffre d’affaires.» Ce programme a permis d’intégrer des critères comme la fertilité ou la longévité des vaches à l’objectif de sélection. Avant la fin de l’année, les trois races impliquées adopteront de nouveaux marqueurs plus précis (lire l’encadré "Gagner du temps avec la sélection assistée par marqueur "). «Nous allons pouvoir nous passer de certaines données sur l’ascendance pour choisir les taureaux à tester, détaille Michel Tissier, directeur d’Umotest. Au départ, nous nous contentions d’informations sur les mâles, puis nous avons intégré les femelles. Les résultats obtenus nous permettaient de choisir entre des pleins frères, puis cela a été possible entre demi-frères. Nous avons élargi la démarche au choix des futures mères à taureaux.»

La prochaine étape sera celle de la sélection génomique qui permettra d’aller encore plus loin en se limitant à des informations sur le seul animal à tester. Mais toute médaille à son revers. «Nous sommes très impliqués dans ces programmes, poursuit Michel Tissier. Nous réalisons 28% du programme alors que nous représentons 18% des mâles mis en testage. Toutes ces données, nous pouvons les utiliser à bon escient en conservant de la variabilité pour nous inscrire dans la durabilité. Mais il faut aussi nous assurer qu’en sélectionnant certains QTL favorables, nous ne générons pas de dérive génétique.» C’est-à-dire que des critères défavorables n’empirent pas sans qu’on le voie.

par Isabelle Escoffier et Eric Roussel

(publié le 25 avril 2008)

 



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