Les agriculteurs et le gouvernement argentins ont mesuré leurs forces dimanche à l'occasion de deux grands rassemblements distincts, deux mois et demi après le début d'un conflit portant sur le partage de la rente du soja, principale richesse agricole du pays.
Quelque 300.000 personnes se sont rassemblées à Rosario (Centre), au coeur du pôle agroalimentaire argentin, pour participer à une grande démonstration de force de la part des agriculteurs, soutenus par l'opposition.
«Le gouvernement est aveugle et sourd. J'espère qu'ils comprendront que nous ne voulons pas d'un coup d'Etat, nous exigeons seulement équité et justice pour ceux qui vivent et travaillent dans le ''campo''», la campagne argentine, a déclaré Sara Castillejos, agricultrice de 48 ans dans la province de Santa Fe (Centre).
Les agriculteurs se sont dits prêts à renouer le dialogue avec le gouvernement dès lundi, avertissant toutefois qu'en cas d'échec, les blocages de route et la grève reprendraient.
Mais la réunion prévue lundi entre le gouvernement et les agriculteurs a été annulée.
«Je ne sais pas quand nous allons nous réunir à nouveau. C'est très difficile. J'attendais autre chose du ''campo'', j'attendais un sens des responsabilités de la part de ses dirigeants», a déclaré lundi à une radio argentine, Alberto Fernandez, chef de cabinet (gouvernement). Ce dernier a désigné les agriculteurs comme responsables de la rupture du dialogue.
A 1.300 km plus au nord-ouest, devant quelque 150.000 personnes rassemblées à Salta, la présidente argentine Cristina Kirchner n'a pas soufflé mot dimanche du conflit en cours, se contentant de souligner le chemin parcouru par l'Argentine depuis la débâcle économique de 2001-2002 et d'inviter «tous les Argentins» à poursuivre l'effort de redressement du pays.
Les discussions entre le gouvernement et les agriculteurs argentins, parmi les plus importants producteurs du monde, avaient à nouveau échoué jeudi. Les deux camps s'étaient alors rendus mutuellement responsables de l'échec de cette nouvelle réunion, au lendemain d'une trêve décidée par le «campo» qui observe une grève des exportations de grains (céréales et soja) depuis le 8 mai.
L'Argentine est le premier exportateur mondial de farine et d'huile de soja et le troisième pour les graines de cet oléagineux. Le vaste pays sud-américain est aussi le deuxième exportateur mondial de maïs (loin toutefois derrière les Etats-Unis), et le cinquième de blé, avec une production totale de 95 millions de tonnes de grains.
Jusqu'à mercredi, le négoce de grains était quasi paralysé, mais cette situation n'avait pas affecté les exportations en raison des stocks importants constitués par les entreprises exportatrices. En s'efforçant de bloquer les exportations, les agriculteurs comptaient frapper le gouvernement au portefeuille. Celui-ci escompte des rentrées fiscales de 11 milliards de dollars grâce à une récolte de soja évaluée à 48 millions de tonnes.
Une reprise de la grève, qui n'est pas exclue après le nouvel échec des discussions, pourrait cette fois avoir un impact à l'extérieur, si les stocks, arrivés à épuisement, ne devaient pas être renouvelés.
Le gouvernement a réaffirmé vendredi qu'il n'entendait pas revenir sur le principe de la taxe mobile affectant les exportations de soja ou de céréales. La taxe à l'exportation de soja a ainsi augmenté de plus de 25% en mars à 44% la tonne, et surtout elle augmentera fortement et automatiquement à chaque nouvelle hausse du prix international de cet oléagineux.
Ce système «mobile» est jugé inadmissible par les agriculteurs qui dénoncent une mesure anti-économique et une volonté d'extorsion de la part du gouvernement, sans souci de rentabilité pour le producteur.
Le «campo» s'était remis en grève le 8 mai après une première trêve d'un mois qui n'avait pas permis de débloquer la situation. Une première grève en mars avait provoqué d'importants problèmes de ravitaillement dans les villes et le blocage de dizaines de routes.