Plus d'une centaine de légumiers en colère ont incendié le centre des impôts et la Mutualité sociale agricole (MSA) de la ville bretonne de Morlaix vendredi soir pour protester contre les contraintes fiscales et administratives qui pèsent sur eux, occasionnant d'importants dégâts.
En début de soirée, les légumiers en colère, avec près d'une centaine de tracteurs et de remorques, selon la maire de Morlaix, Agnès Le Brun (UMP), se sont d'abord dirigés vers le bâtiment de la MSA situé en périphérie de Morlaix sur la commune de Saint-Martin-des-Champs. Selon le maire de cette commune, François Hamon (PS), présent sur les lieux vers 1h30 du matin, les manifestants ont alors « tout saccagé à l'intérieur », a-t-il déclaré à l'AFP. Ils y ont ensuite mis le feu à l'aide de palettes et de pneus après avoir déversé devant le bâtiment une partie de leur cargaison de légumes invendus, des pommes de terre et des artichauts. (voir également les interviews sur Dailymotion)
« Le bâtiment est détruit, la charpente à l'intérieur s'affaisse », a-t-il déploré. « C'est le signe d'une grande détresse pour en arriver là. Quelque part, ça fait peur », a ajouté M. Hamon, soulignant que ce bâtiment abritant la MSA avait été construit il y deux ans sur sa commune. L'incendie de la MSA était éteint vers 1h30 du matin, a constaté l'AFP sur place.
En milieu de soirée, les manifestants ont quitté la MSA pour se diriger vers le centre-ville de Morlaix et se sont regroupés devant le centre des impôts. Outre les légumes invendus, des palettes et des pneus, ils ont aussi déversé du fumier. Cassant portes et fenêtres, ils l'ont alors incendié.
L'hôtel des impôts de Morlaix, un long bâtiment blanc de deux étages, lui aussi récent, était complètement détruit par le feu à l'une de ses extrémités, a constaté l'AFP. A l'extérieur, des tonnes d'artichauts et de pommes de terre jonchaient encore le sol vers 2h00 du matin. D'autres tas de ces légumes étaient également visibles dans plusieurs autres points de la ville.
Peu avant minuit, les manifestants se sont alors dirigés vers le pont autoroutier de la route nationale 12 qui relie Brest à Morlaix. Ils ont ensuite déversé des tonnes d'artichauts sur la route. A trois heures du matin, samedi, les manifestants en étaient repartis, laissant des tas de légumes, des glissières arrachées par endroit, ainsi que des traces de feux de palettes et de pneus, a constaté l'AFP.
A proximité de la sous-préfecture, une dizaine de fourgons de gendarmerie étaient stationnée et le calme semblait revenu. Au milieu de la nuit, les services de la ville s'affairaient pour tout nettoyer.
La Sica Saint-Pol avait annoncé des actions
« C'est une action très importante, il n'y a pas de forces de l'ordre, on est très démunis », déplorait Agnès Le Brun, jointe au téléphone vers 23h30. « C'est une action que je déplore et que je condamne, je suis assez en colère ». « Des alarmes ont été lancées depuis plusieurs mois (par les producteurs de légumes, ndlr) auxquelles l'État n'a jamais répondu », a-t-elle ajouté.
« Les producteurs de légumes ne peuvent plus, dans le contexte économique dégradé que l'on connaît, continuer à fonctionner ainsi », avait déclaré à la mi-journée vendredi Jean-François Jacob, président de la Sica (société d'intérêt collectif agricole) de Saint-Pol-de-Léon, premier groupement français de producteurs de légumes, annonçant des actions à venir lors d'un point de presse.
« On nous a parlé de façon successive depuis 20 ans de simplification administrative, à chaque fois on constate que c'est l'effet inverse. Nous, on dit : stop », avait-il déploré avant d'annoncer : « Puisque Paris n'arrive pas à mettre en œuvre les simplifications administratives, nous allons, au niveau agricole et peut-être avec d'autres filières et secteurs de l'économie bretonne, mettre en œuvre une simplification administrative de nos relations avec les pouvoirs publics ». « Ce ne sera peut-être pas très bien perçu », avait-il ajouté, sans plus de précisions.
« L'urgence est aujourd'hui de traiter les problèmes de trésorerie de beaucoup de producteurs en Bretagne », avait encore ajouté M. Jacob, soulignant que l'embargo russe avait en outre aggravé leurs difficultés.
LES RÉACTIONS DES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES ET DE LA MSA
« Un profond désarroi » (FNSEA)
Dans une déclaration à l'agence Actuagri, Xavier Beulin, le président de la FNSEA explique que « le coup de colère d'agriculteurs du Finistère dans la nuit du 19 au 20 septembre nous interroge tous et interpelle tout particulièrement notre réseau FNSEA. Aujourd'hui, pas plus qu'hier, la FNSEA n'appelle pas à des actes extrêmes et violents comme moyens de revendication. Si l'on ne peut cautionner les dégradations commises tant à la MSA qu'au centre des impôts de Morlaix, cependant notre devoir et notre responsabilité sont d'abord d'analyser et de comprendre les causes de cette colère qui traduit le profond désarroi des agriculteurs et de leurs familles ».
« Depuis plusieurs mois, nous alertons le gouvernement, du Premier ministre aux ministres de l'Agriculture, de l'Environnement, de l'Economie, sur la situation du secteur agricole et sur la dégradation des conditions de l'exercice de notre métier. Au cours de ces dernières semaines, plusieurs manifestations régionales ont à nouveau exprimé le ras-le-bol autour des réglementations excessives en matière d'environnement, en particulier sur la directive nitrates. Depuis l'annonce de l'embargo russe, en lien avec les filières des fruits, légumes, des viandes et du lait, nous œuvrons à la mise en place de dispositifs adaptés. »
« Il y a urgence sur les actes, par exemple en exigeant de sa propre administration qu'elle lève les contrôles incessants qui stressent et empêchent les agriculteurs de faire leur métier de manière responsable, ou en supprimant telle ou telle obligation qui ne fait que complexifier et renchérir nos coûts de revient. Mesures qui ne coûtent rien !!! »
« Le moment est grave et chacun doit mesurer la responsabilité que nous portons à travers notre syndicalisme. La tentation de "la chienlit" peut gagner du terrain ici ou là. La défiance à l'égard des dirigeants, qu'ils soient politiques ou professionnels, est grandissante, mais je demande à chacune et chacun d'entre vous de garder son sang-froid. Nous, nous voulons un syndicat responsable, cela signifie que chacune de nos actions, aussi légitime soit elle, doit aussi intégrer son issue. »
« Les feux du désespoir » (Coordination rurale)
« Les incendies de ce week-end, sur les bâtiments des impôts et de la MSA de Morlaix, ne sont hélas que le révélateur du désespoir des agriculteurs bretons. Les signes avant-coureurs n'ont pas été pris au sérieux, et pourtant, le ras-le-bol était plus que perceptible », souligne la Coordination rurale (CR) dans un communiqué du 22 septembre.
« Depuis près de 70 ans, la cogestion syndicat majoritaire-gouvernement (quel qu'il soit), associée à la dérive de nombreux groupes coopératifs, a poussé chaque jour un peu plus vers un libre-échange et une mise en concurrence favorisant les moins-disant. »
« Ces événements d'une très grande gravité doivent être un véritable électrochoc. Si des agriculteurs ont pris le risque de mener une telle action suicidaire, qui pourrait les conduire à des sanctions judiciaires insupportables, c'est qu'ils ont atteint le point de non-retour, au bout du désespoir. La CR, qui a tiré à maintes reprises la sonnette d'alarme, espère que le gouvernement entendra cette action comme un ultime appel à l'aide et qu'il prendra les mesures de sauvetage nécessaires pour rendre des perspectives aux agriculteurs. »
« La CR, porteuse de solutions en matière de réforme de financement de la protection sociale en agriculture et pour une autre politique agricole française et européenne, se tient disponible pour rencontrer le gouvernement et lui faire part de ses propositions, avant que l'incendie ne se propage ailleurs », conclut la Coordination rurale.
« Ne pas se tromper de cible » (Confédération paysanne)
« Deux bâtiments publics incendiés, des forces de l'ordre qui laissent faire, des responsables syndicaux qui approuvent... Les événements qui se sont déroulés à Morlaix vendredi sont inacceptables. Ils contribuent à dégrader l'image du monde agricole. S'attaquer aux outils collectifs, c'est refuser que la MSA traite les dossiers maladie ou accidents des paysans, ou que les impôts financent les services publics des communes rurales. C'est refuser la mutualisation comme principe de fonctionnement de la société », estime la Confédération paysanne dans un communiqué du 22 septembre.
« En faisant de la compétitivité, de l'exportation, des cours de Bourse, les seules réponses à la crise économique en général et à la crise agricole en particulier, les pouvoirs publics se rendent implicitement responsables de cette colère dirigée contre les outils collectifs de mutualisation, de redistribution, et de règlementation. Ils devraient au contraire avoir le courage politique, en tant que représentants du peuple, de les défendre. »
« La Région Bretagne est une des premières bénéficiaires du budget pour les fruits et légumes de l'organisation commune des marchés (OCM). La colère des producteurs démontre donc bien qu'une politique qui vise à concentrer l'offre et à se tourner à tout prix vers l'exportation n'est pas une solution. »
« Les paysans doivent aujourd'hui se battre ensemble pour s'assurer un avenir. Mais se battre, ce n'est pas détruire ce qu'il nous reste de commun. [...] Se battre, c'est peser, c'est pointer du doigt les véritables responsables et profiteurs de la dérive de l'agriculture, c'est chercher des alliés chez nos concitoyens, c'est refuser les chimères qui nous enchaînent à chaque fois un peu plus, c'est considérer notre métier comme une part essentielle du fonctionnement de la société », conclut la Confédération paysanne.
« Incompréhensible et inacceptable » (MSA)
« La MSA condamne les actions violentes qui se sont produites dans la nuit du 19 septembre 2014 à Morlaix et l'aveuglement coupable des organisateurs de cette opération. La grave crise et le désarroi des agriculteurs ont des origines conjoncturelles et climatiques. La MSA ne peut être tenue pour responsable », insiste la Mutualité sociale agricole dans un communiqué du 21 septembre.
« Les présidents des MSA de la Région Bretagne ont récemment reçu les représentants Jeunes Agriculteurs des producteurs montrant ainsi leur compréhension de la situation de détresse des agriculteurs de la filière légumière. D'autres rencontres sont planifiées pour définir des pistes d'accompagnement et d'aides. »
Au quotidien, dans les agences implantées à proximité des adhérents, les salariés de la MSA sont attentifs aux familles des exploitants et des salariés agricoles concernés par des difficultés. La destruction de ces locaux n'a aucun fondement et est donc incompréhensible et inacceptable », conclut la MSA.
« Trop, c'est trop » (CFDT)
La section CFDT de la MSA d'Armorique dénonce, dans un communiqué du 22 septembre, « les actions violentes menées par des légumiers du Nord-Finistère vendredi soir. »
« En détruisant les nouveaux locaux de la MSA de Morlaix, ils n'ont pas seulement détruit un bâtiment mais aussi l'outil de travail des salariés et un lieu d'accueil et de services de proximité destiné à la population agricole. »
« Ce saccage a fait disparaître des dossiers adhérents exploitants comme salariés, parfois sensibles, touchant à la santé, la retraite, la famille, l'aide sociale... »
« Il ne faut pas oublier que la MSA est guichet unique et n'est pas seulement une administration qui appelle des cotisations. »
« La section CFDT est consciente des difficultés actuelles du monde agricole. Néanmoins, elle condamne de telles actions extrêmes. »
« La CFDT demande à la direction de prendre les mesures nécessaires pour qu'un lieu d'accueil provisoire soit opérationnel sur Morlaix pour le rétablissement du service public », conclut l'organisation syndicale.
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mardi 23 septembre 2014 - 09h25
Le seul problème c'est que dans le courant de l'année, il n'y aura pas un seul secteur agricole qui ne soit en grave difficulté. Tout le monde sait que les agriculteurs sont au bord de l'émeute .Ces actes ne sont pas acceptables, mais pourquoi en est on arrivé là? M. Le Foll, tout occupé à ses lubies environnementales, ne voit rien; il a cherché à monter les agriculteurs les uns contre les autres (éleveurs/céréaliers, etc...) Que ce soit un avertissement pour le gouvernement, sinon le feu va se généraliser et il ne contrôlera plus rien. Quant à la Confédération Paysanne son discours est hallucinant: du communisme pur et simple!