La France Agricole: Les discussions sur l’agriculture reprennent cette semaine à l’OMC. Quelle est votre analyse de la tournure prise par les négociations ? Peut-on aboutir à un accord?
Michel Barnier: C'est l'un des premiers sujets dont j'ai parlé au lendemain même de ma nomination, d'abord avec le commissaire européen en charge des négociations commerciales, Peter Mandelson que je connais bien. J'ai également eu sur ce sujet un long entretien, il y a quelques semaines, avec quelqu'un que je connais également bien pour avoir travaillé autour de la même table que lui pendant cinq ans, Pascal Lamy, le directeur général de l'OMC. C’est un sujet fondamental. Le cadre des échanges internationaux et les règles douanières qui s’y attachent conditionnent dans une large mesure l’avenir de nos productions agricoles et agroalimentaires.
Le président de la République m’a adressé une lettre de mission avec le Premier ministre dans laquelle il dit clairement qu’un accord n’est possible que s’il est équilibré, réciproque et s’il préserve la préférence communautaire en matière agricole.
Ce que je constate aujourd’hui, c’est que la négociation est déséquilibrée. Le document mis sur la table par Monsieur Falconer (1) me préoccupe. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à être préoccupé, la Commission européenne a indiqué qu’elle l’était aussi.
Ce document ne permet pas d’assurer une réciprocité des efforts consentis par les différents pays membres de l’OMC, en particulier sur le soutien interne et la concurrence à l’exportation. Il me préoccupe aussi parce que les propositions sur l’accès au marché peuvent remettre en cause les équilibres économiques du secteur agricole. Enfin, il n’y a aucune référence dans ce document à des points qui doivent être dans la discussion comme la protection des indications géographiques.
Celles-ci me sont chères car je suis attaché à un modèle agricole européen qui est différent des autres car il repose sur des productions de qualité identifiées, qui ont des couleurs et du goût. J'ai dit devant les Jeunes agriculteurs à Epinal que je ne soutiendrai jamais une économie agricole fondée sur des grandes fermes à l'américaine.
La Commission elle-même a exposé des préoccupations comparables par rapport au document de Monsieur Falconer, notamment la commissaire à l'agriculture, Madame Fischer Boel. Donc, avant d'imaginer une conclusion à cette négociation, comme le souhaite sans doute Pascal Lamy, il y a un très gros travail de rééquilibrage à faire en particulier au sein du volet agricole, comme d'ailleurs entre les différents volets: agriculture, industrie, services.
J'ai exposé tout cela au commissaire européen qui suit ces questions.
FA: Pour avancer dans les négociations, qui doit faire des efforts?
M.B: L’Union européenne est allée vraiment très loin. Il est inimaginable que les autres partenaires de cette négociation ne fassent pas d’efforts. Ce n’est pas ainsi que la négociation pourra se débloquer et aboutir sur des bases satisfaisantes.
FA: Sur le plan international, comment interprétez-vous l’évolution des cours de certaines matières premières agricoles. Est-ce une situation durable?
MB: Mon sentiment est que cette tendance est vraisemblablement durable. J'ai présenté le 29 août une communication en conseil des ministres sur ce sujet car c'est une situation nouvelle à laquelle on assiste.
Pourquoi cette tendance est-elle durable? Les agriculteurs ne produisent pas assez pour nourrir le monde. L’Inra explique que pour alimenter la planète en 2050, la production devrait être doublée par rapport à aujourd’hui.
Le monde va avoir faim. Mais en plus de consommer davantage, nous allons consommer différemment. L'évolution des habitudes alimentaires dans un pays comme la Chine, qui s'oriente vers une consommation plus élevée de protéines animales, va introduire des changements importants.
On assiste à une demande croissante des pays émergents, à des habitudes alimentaires qui évoluent, avec des stocks qui ont un niveau historiquement bas et un partage des terres aux Etats-Unis ou en Amérique Latine, notamment, qui réduit la part de l’alimentation au profit des biocarburants.
FA: Justement, il y a un débat sur ce sujet
MB: Ce débat est normal. Il faudra établir des priorités. C'est pour cela que l'on a besoin de gouvernance dans le monde et en Europe. Sans remettre en cause le choix stratégique de favoriser les agro et biocarburants. Il ne faut pas se dire «c'est l'un ou l'autre». En fait, c'est l'alimentation ou les biocarburants avec la question du partage des terres.
Pour revenir à l'évolution des prix des matières premières agricoles, les raisons que j'ai évoquées précédemment sont des raisons structurelles. Mais il y a aussi des raisons conjoncturelles: la sécheresse en Australie, des accidents climatiques en Ukraine... Tout cela provoque des ruptures dans les productions, ce qui accroît les tensions.
On assiste enfin à un phénomène nouveau: la spéculation internationale sur les matières premières agricoles.
Les tendances lourdes peuvent s’amplifier ou se réduire en fonction de données conjoncturelles: nous sommes dans une tendance d’accroissement durable des prix des matières premières agricoles mais aussi de leur volatilité.
FA: A propos des biocarburants, est-ce que la flambée du prix des matières premières ne compromet pas leur développement en particulier celui de l’éthanol?
MB: La réponse est non. Simplement il faut bien voir comment s’organise le partage des terres et pour moi la priorité reste la production pour nourrir. Cela ne remet pas en cause les orientations prises en matière de biocarburants car les ressources pétrolières et gazières vont s’amenuiser. En même temps on doit aussi réduire notre consommation, y compris dans les exploitations agricoles. Le kilowatt qui coûte le moins cher est celui que l'on ne consomme pas. Je crois beaucoup aux recherches dans les biocarburants et en particulier celles sur la deuxième génération que nous allons encourager.
FA: Pour les productions animales, l’augmentation des prix des céréales pose un sérieux problème.
MB: Cela a des conséquences lourdes pour certaines productions qui incorporent dans leurs coûts une part importante de ces matières premières. Je l'ai expliqué en conseil des ministres. Si cette augmentation des matières premières ne peut être répercutée dans les prix à la vente, cela entraîne une baisse de revenu très problématique. C’est ce qui se passe en ce moment pour certaines productions animales.
Pour tirer les conséquences en matière de politique agricole, je vois la nécessité de créer des outils de stabilisation de marché pour faire face à la volatilité et contrer la spéculation. Je pense aux outils de stockage. C’est une raison supplémentaire pour introduire dans une politique européenne ou nationale des outils de gestion des crises beaucoup plus forts que ceux dont on dispose aujourd’hui.
FA: En matière de gestion des risques, au terme d'une période d'expérimentation de trois ans sur l'assurance récolte en France, comment allez-vous donner une nouvelle impulsion à ce dispositif?
MB: Tout d'abord nous allons le maintenir et j'en préserverai les moyens dans le budget 2008. Je milite en faveur de ces mécanismes de gestion de crise et je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin aux niveau européen et national si j'en juge par cette expérimentation et par ce qui a été réalisé dans un autre contexte avec l'OCM fruits et légumes.
FA: Est ce que cela pourrait aller jusqu'à la rendre obligatoire?
MB: C'est une éventualité à étudier et cela fait partie du débat qui s'ouvre aux Assises de l'agriculture.
FA: L’Union européenne s’est engagée dans un processus réduisant de plus en plus l’intervention, la fin des quotas laitiers est programmée... N’est-ce pas incohérent et comment inscrire cette question dans la réforme de la Pac?
MB: Le bilan de santé de la Pac, c’est à dire son évaluation intervient dans un contexte agricole nouveau qui n’avait sans doute pas été anticipé par les autorités européennes. On avait surtout envisagé une baisse généralisée des prix et une réduction des productions. Or, on arrive dans un contexte, à mes yeux durable, où un grand nombre de prix agricoles vont augmenter et où on a besoin de produire davantage. C’est d’ailleurs un contexte qui va ressembler, d’une certaine façon, à celui des années soixante quand les fondateurs de l’Europe ont voulu une politique agricole, la première politique unique européenne.
Je suis d'ailleurs partisan de davantage de politiques uniques européennes. De telles politiques intégrées manquent aujourd'hui en matière de recherche, d'industrie ou d'énergie.
La Pac est la première politique réellement mutualisée. Vous imaginez bien que le Président et le gouvernement n’accepteront pas qu'on la détricote. On doit la faire évoluer, la réformer, prendre davantage en compte les nouvelles exigences comme la sécurité alimentaire, la sécurité écologique... Il y a de nouvelles raisons d’avoir une grande économie agricole européenne, ce que j’appelle la «nouvelle politique agricole» et il faut préparer ces évolutions dans la perspective de l’après 2013.
Nous sommes dans une période où cette politique économique agricole retrouve une vraie justification. Ce ne sera pas forcément la même, il faudra produire autrement en tenant compte des exigences nouvelles que j'ai évoquées. On est dans un contexte dans lequel la Commission doit faire un bilan de santé objectif et lucide.
FA: C’est un nouvel âge d’or qui s’annonce pour l’agriculture?
MB: Il faut se méfier des mots. Les agriculteurs qui se lèvent tôt et travaillent beaucoup pour gagner peu, n’aimeraient pas que leur ministre parle d’un nouvel âge d’or. Mais nous ne sommes plus dans une période où comme pour la sidérurgie, la perspective était de réduire, de fermer, de restructurer. Nous sommes dans une période où il y a de nouvelles raisons pour produire, pour nourrir le monde et l’Europe. C’est une question vitale et cela donne de vraies perspectives.
Vous voyez donc que j’aborde ce bilan de santé et le débat qui s’ouvre, et va durer jusqu’à la présidence française, de manière constructive et offensive. Plutôt que de parler d’une Pac comme on parle d’un guichet, je veux évoquer un nouveau projet alimentaire, rural et agricole européen en renforçant nos atouts de grand pays producteur.
FA: Certains pays sont favorables à une modulation des aides plus importante, c’est à dire un transfert des soutiens du premier vers le second pilier. Quelle est votre position sur ce sujet et plus globalement sur le budget de la Pac?
MB: Je pense qu’il faut commencer par poser la question fondamentale préalable: a-t-on besoin d’une politique économique agricole? Ce que j’observe dans le monde et en Europe me conduit à répondre: oui, nous devons préserver cette grande politique économique agricole avec un budget important.. Je ne suis pas choqué par le budget actuel qui est le seul budget mutualisé en Europe.
Rien n'interdit de faire la même chose pour la recherche ou l'énergie, en mettant ensemble les budgets nationaux. Car aujourd'hui les budgets agricoles nationaux sont secondaires et complémentaires du budget européen. C'est le seul domaine dans ce cas. Il faut donc être juste quand on fait des comparaisons.
Mais à l’intérieur de ce budget agricole, des évolutions devront tenir compte du contexte économique mondial, de la hausse des prix, de la nécessité de soutenir les régions fragiles, de préserver l’élevage de manière équilibrée sur le territoire européen.
Le budget de la Pac a commencé à diminuer en termes relatifs. Il va d’ailleurs devenir non plus le premier, mais le deuxième budget de l’Union européenne derrière la politique des fonds structurels et la politique régionale, souvent liées aux territoires ruraux. Et au sein de ces politiques, se trouve un sujet très important qui doit être consolidé dans les années qui viennent: le développement rural, qui intéresse notamment tous les territoires fragiles.
J’attends le 20 novembre la communication de Mariann Fischer Boel sur le sujet. Je ne vais pas me laisser enfermer dans un débat sur les modalités avec des questions du type: va-t-on plus loin sur le découplage, supprime-t-on les quotas laitiers et tous les mécanismes de régulation des marchés, revoit-on la répartition des aides calées sur les références historiques...
Pour y apporter de bonnes réponses, il faut d’abord savoir ce que l’on veut faire de l’agriculture européenne. C’est pourquoi je vais commencer par la question de fond: oui ou non doit-on produire davantage et mieux? La réponse est oui. Ensuite, à quelles conditions le faire alors que l’environnement économique, écologique et social est différent de celui d’il y a dix ou quinze ans? Quelles sont alors les formes des soutiens les plus adaptées?
FA: A ce stade des discussions, comment percevez-vous l’équilibre des pays au sein de l’Union européenne au sujet de la Pac?
MB: Le président de la République n’est pas dans l’idée que la France soit dans un coin, barricadée en disant «on ne touche à rien». Moi non plus. Ce qui se passe en ce moment sur les prix, sur les besoins alimentaires, sur les préoccupations de sécurité sanitaire et environnementale, donne des raisons pour avoir une grande politique économique agricole et alimentaire européenne. Cela montre que le pari d’une économie rurale et agricole européenne est juste et conforté.
Ce diagnostic doit être partagé par tous les pays européens. Nous allons beaucoup parler avec nos partenaires. J’ai dit un jour en tant que ministre des Affaires étrangères quelque chose que je peux reprendre comme ministre de l’Agriculture: «la France n’est pas grande quand elle est arrogante, elle n’est pas forte si elle est solitaire». J’ai l’intention de visiter chacun des pays européens d’ici le début de la présidence française. J’ai d’ores et déjà entamé ma tournée des capitales européennes. Il me semble souhaitable de dialoguer avec tous les pays, même ceux qui traditionnellement ne partagent pas notre approche de la politique agricole commune. Je souhaite montrer à tous l’intérêt, pour l’Europe, de conserver une politique agricole ambitieuse.
FA:Quel est le but des assises de l’Agriculture et comment vont-elles se dérouler?
MB: On ne va pas faire une usine à gaz. Nous avons le rendez-vous du débat sur la politique agricole commune et les Assises de l’agriculture permettront de préparer la proposition française partagée par les différents acteurs concernés. Comme cadre de ces assises, j’ai retenu le conseil supérieur d’orientation de l’économie agricole et alimentaire qui rassemble la totalité des responsables des organisations professionnelles nationales: agriculteurs, transformateurs, distributeurs, représentants des consommateurs, des associations de protection de la nature, des syndicats de salariés et les forestiers. J’ai réuni une première fois tous ces membres le 5 septembre pour leur présenter les objectifs, la méthode et le calendrier, en proposant quatre étapes.
La première consistera à définir les objectifs de la politique agricole à l’horizon 2013. Je voudrais que nous soyons prêts à la mi octobre, avant même que la Commission européenne ait publié ses propres orientations. L’idée est de tracer un chemin et d’anticiper plutôt que d’être en défensive.
Puis il y aura le bilan de santé de la Pac avec en fin d’année un débat en conseil des ministres de l’Union européenne sous présidence portugaise, pour lequel nous préparerons la position française. Ensuite nous aurons un débat sans tabou sur l’adaptation des nos dispositifs.
Et enfin, quatrième étape, je voudrais lancer en mai ou juin un débat dans les régions pour réfléchir à ce que pourraient être les leviers d’une agriculture durable, compte tenu des spécificités locales.
FA: Dans le Grenelle de l’Environnement des propositions touchent les modes de production, quelle va être la relation entre ce qui sortira du Grenelle et les Assises?
MB: Si le Grenelle a été lancé d’abord c’est précisément pour que ses conclusions nourrissent les étapes ultérieures. C’est pourquoi au ministère de l’Agriculture, nous avons abordé le Grenelle de manière constructive. Tout ne relèvera pas de l’incitation dans le Grenelle, il faudra aussi faire des efforts. Mais nous y participons de manière constructive, et pas seulement le ministre de l’Agriculture qui est très engagé à titre personnel sur tous ces sujets. C'est d'ailleurs l'état d'esprit des dirigeants agricoles, qui, dans les groupes de travail du Grenelle, ont établi un dialogue intelligent avec les organisations non gouvernementales telles que France Nature Environnement (FNE).
Je n’ai pas du tout l’intention d’accepter que l’agriculture se retrouve dans une sorte de chambre d’accusation. Il faut être force de proposition pour que le résultat qui en sortira soit un résultat acceptable sur lequel on puisse s’appuyer pour l’étape suivante qui est celle des assises et de la future Pac.
FA: Parmi les premières propositions du Grenelle certaines vont déjà loin; quels sont pour vous le rôle et la place de l’agriculture dans la protection de l’environnement?
MB: Pour moi l’agriculture doit être en avant garde dans le développement durable. Les agriculteurs et les pêcheurs sont les premiers concernés par les risques graves que notre société va devoir affronter dans les cinquante ans qui viennent du fait du changement climatique. Cela va bousculer tout: la manière de produire, de cultiver, la gestion de l’eau...
Lorsque j’étais ministre de l’Environnement j’ai dit que les agriculteurs étaient les premiers écologistes. Je pense sincèrement qu’ils sont les premiers concernés par le maintien des terres, la prévention des risques, la durabilité des ressources naturelles qui ne sont ni gratuites ni inépuisables.
Alors que pendant un certain nombre d’années, pour répondre à une demande publique qui était de produire beaucoup et vite on ait utilisé des méthodes moins respectueuses ou pas respectueuses de l’environnement, c’est vrai. Mais c’est en train de changer depuis une dizaine d’années et ça va continuer de changer.
FA: Quel sens comptez vous donner à la certification des exploitations que vous souhaitez mettre en place?
MB: Je crois que cela est utile pour éviter des polémiques, pour démontrer de nouvelles pratiques. Les agriculteurs savent qu’ils doivent évoluer, ils sont curieux et attentifs. Il y a un véritable mouvement général vers de nouvelles pratiques pour moins de pesticides, moins d’intrants, une meilleure gestion de l’eau...
Je souhaite qu’on encadre ce mouvement et qu’on l’encourage à travers ces mesures de certification afin de faire savoir que les agriculteurs ont de bonnes pratiques. Je vais y travailler avec les organisations agricoles et les différentes parties prenantes du Grenelle.
A ce sujet, je voudrais soutenir une autre idée qui est au cœur du développement durable et du revenu des agriculteurs qui est celle d’un plan national d’autonomie énergétique des exploitations. On sait déjà que les agriculteurs peuvent produire de nouvelles énergies sur leurs terres. Mais au delà, je voudrais que toutes les exploitations agricoles individuellement ou par regroupement soient autonomes en utilisant la biomasse, la co-génération, le photo voltaïque et l’énergie solaire. Avec des aides à l'appui.
Dès mon arrivée au ministère j’ai lancé une réflexion pour préparer un plan d’équipement d’autonomie énergétique des exploitations. C’est un sujet symbolique qui montre que les agriculteurs ne sont pas dans un coin ou en retrait mais en offensive.
FA: Jean-Louis Borloo, ministre du Développement durable, a promis une loi sur les OGM; l'agriculture a-t-elle son mot à dire?
MB: Sur ce sujet aussi, il n'y a pas de raison pour que l'agriculture soit mise en accusation. Les agriculteurs qui sèment des OGM travaillent dans l'esprit de la loi telle qu'elle est aujourd'hui, je le dis de manière très claire, et ceux qui procèdent à des arrachages sur les propriétés privées d'autrui se mettent en dehors de la loi.
Maintenant, il y a des raisons de s'intéresser aux OGM, objectivement pour tout le monde. D'abord pour s’adapter dans un contexte où la demande mondiale va beaucoup s'accroître, pour améliorer le profil nutritionnel des aliments, par exemple en incorporant des vitamines A dans le riz, pour produire des molécules thérapeutiques qui contrecarrent des maladies très graves, comme la mucoviscidose, ou encore améliorer les process industriels.
Il y a donc une utilité et même une nécessité à la recherche qui doit être distinguée de la commercialisation. En France les deux existent. Nous avons autorisé la recherche sur les OGM, y compris en plein champ et dans des conditions contrôlées sur quelques hectares. Doit-on renforcer les contrôles et les garanties? La question est ouverte. Il faut préserver cette recherche sinon dans 30 ans l'agriculture européenne sera sous influence de l'agriculture chinoise ou américaine. La question des cultures à des fins commerciales n'est pas non plus tabou puisqu'elle est posée dans le Grenelle de l'environnement qui lui donnera une réponse.
FA: Bruxelles a remis la pression sur les nitrates. Comment se sortir de cette impasse?
MB: Je suis totalement engagé dans ce dossier qui est le dossier prioritaire du ministère aujourd’hui en liaison étroite avec Jean-Louis Borloo et le ministère du Développement durable. Le but est de rétablir une double confiance: la confiance de la Commission, qui ne croyait plus dans la capacité ou la volonté du gouvernement français de respecter ses engagements. C’est pourquoi nous avons été traduits devant la Cour de justice européenne à deux reprises en mars et en juin. Et puis, dans l’autre sens, la confiance entre les acteurs bretons et les autorités françaises.
Je me suis donc attaché à rétablir cette double confiance en démontrant à Bruxelles la réalité des efforts déjà engagés et le plan d’action de mise aux normes prévu sur les bassins versants concernés par le contentieux et sur le terrain, en tenant un langage de vérité.
On demande de nouveaux efforts aux producteurs; il faut donc les accompagner avec un plan de soutien pour faciliter les évolutions à mener dans certains systèmes de production. Un suivi individualisé est également prévu.
On ne réglera pas ce dossier en confrontation avec Bruxelles. On ne le réglera pas non plus contre les agriculteurs bretons mais avec eux. Je suis satisfait de constater que cette démarche correspond à la position dont m’a fait part le commissaire européen à l’environnement sur ce dossier difficile.
Celui-ci va proposer la semaine prochaine au collège des commissaires de suspendre la transmission à la cour de justice de la procédure engagée contre la France. Cette évolution positive sur le plan européen me confirme dans ma volonté de poursuivre le travail avec les agriculteurs bretons dans un esprit de respect et de dialogue.
FA: Concernant le gel obligatoire des terres, le principe d’une décision sur le taux «zéro» a été annoncé par la commissaire à l’agriculture, même si les modalités pratiques se font toujours attendre? Quel rôle voyez-vous jouer par la jachère?
MB: Quand on a une pression telle sur les prix, il faut agir. La décision formelle sur la jachère sera prise le 26 septembre par le conseil des ministres européens. Il s’agit là d’une réponse concrète aux besoins exprimés par le marché en remettant des terres en production.
Mais il n’est pas question de remettre en cause l’intérêt environnemental de la jachère: c’est la raison pour laquelle l’obligation de jachère environnementale qui découle des bandes enherbées des BCAE (bonnes conditions agronomiques et environnementales) demeure, elle, inchangée en 2008. Il faut rappeler que la jachère reste possible sur une base volontaire et que les contrats agro-environnementaux prévoyant certaines jachères doivent être respectés.
(1) Crawford Falconer préside le groupe de négociations agricoles à l'OMC