Prédire qui seront les gagnants et les perdants d'une politique de libéralisation des marchés agricoles au niveau international soulève la controverse. Un débat organisé le 10 juin par le Syrpa à Paris a mis face à face l'opposant au libéralisme, Jacques Carles du Momagri, avec le défenseur d'un libéralisme accru, Patrick Messerlin, professeur à Sciences Po.
Pour Jacques Carles, délégué général de Momagri (1) , il y aura beaucoup à perdre à déréguler le marché. Il contredit les thèses de l'OMC qui parie sur un enrichissement des pays en développement: «Les gains affichés par ces modèles sont faux et très variables, puisqu'ils se basent sur des modèles économiques standards, non adaptés au modèle agricole.»
Jacques Carles défend le modèle "à risques", développé par Momagri, qui se distingue par la prise en compte des risques exogènes (aléas naturels) et endogènes (anticipation des agriculteurs pour la mise en culture). Pour lui, la dérégulation aggraverait la volatilité des cours des matières premières et ne profiterait qu'aux fonds spéculatifs qui investissent dans des grosses structures pour produire à bas prix et exporter. Avec le Momagri, il milite en faveur d'un conseil de sécurité alimentaire mondial et d'une gouvernance en cas de crise.
Patrick Messerlin, professeur et directeur du groupe d'économie mondiale à Sciences Po, a pour sa part défendu un libéralisme accru, en se concentrant sur un intérêt du point de vue français exclusivement. Il s'est dit «très optimiste sur la capacité de production agricole française et sa diversité».
La fin de la Pac ne serait pas un mal pour les agriculteurs français, a déclaré Patrick Messerlin. «La Pac défavorise la France», estime-t-il. Un échec du cycle de Doha (où serait actée la libéralisation des marchés agricoles) pénaliserait, selon lui, 60% des agriculteurs européens et profiterait à 23% d'entre eux, avec un effet neutre pour les autres.
Il a également précisé que la libéralisation entraînerait une baisse des subventions européennes de 40 à 30 milliards de dollars, et non pas la fin des subventions. «Le libre-échange n'est pas le laisser-faire», a-t-il expliqué. «Les règles doivent évoluer lentement, sur plusieurs dizaines d'années, mais toujours dans le même sens.»
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(1) Mouvement qui oeuvre pour une organisation mondiale de l’agriculture.