Dans un point de vue publié par le quotidien « Le Monde » daté du 13 avril, Henri Nallet, ancien ministre de l'Agriculture, se montre très inquiet des négociations en cours à l'OMC et des conséquences pour la Pac d'un éventuel accord.
Dans cette tribune titrée « L'Europe agricole en perdition », il explique que le projet d'accord à l'OMC « auquel la Commission semble prête à souscrire est déséquilibré ». « Le marché européen sera largement ouvert aux importations (...). De leur côté, les Etats-Unis ne feront que de modestes concessions sur le montant de leurs aides aux agriculteurs, qui sont liées aux prix ou à la production. Ils ne prendront aucun engagement de réduction sérieuse du niveau actuel de leurs aides, ce que confirme la préparation de la prochaine loi agricole (Farm Bill) américaine... ».
Du coup, estime Henri Nallet, si l'accord qui est en vue se confirme, « l'Europe ouvrira largement ses marchés, abandonnera ses subventions à l'exportation et se retrouvera unilatéralement désarmée face à une concurrence internationale, américaine notamment, qui aura à peu près réussi à conserver intégralement son potentiel de nuisance, sans craindre d'être un jour condamnée, comme ce fut le cas pour le coton, puisque la Commission est prête à accorder aux Américains le renouvellement d'une "clause de paix" qui les mettrait à l'abri de tout contentieux à Genève ! Cette dernière concession est d'autant plus étonnante que, depuis la réforme de 2003, la Pac n'a plus grand-chose à craindre des contentieux genevois... ».
Ces résultats auront « une autre conséquence lourde de sens ». « En effet, désormais privée de moyens de protection à la frontière, la Commission sera, paradoxalement, obligée d'aller au bout de la libéralisation en supprimant les derniers instruments (quotas de production, intervention publique...) qui protègent encore un peu des crises de marché... Elle l'a compris et prépare déjà le terrain en annonçant, avec un sens certain de l'humour noir, un "bilan de santé" de la Pac... Le résultat de cette négociation est donc la remise en question de la réforme de 2003, qui devait être le grand atout de l'Europe... ».
L'ancien ministre de l'Agriculture estime que « s'ils sont rationnels, les dirigeants américains devraient accepter cet accord dans la mesure où ils font très peu de concessions et obtiennent beaucoup de l'Europe. Et, dès que l'acquiescement américain sera connu, au plus tard le 1er juillet, la Commission demandera au Conseil de l'avaliser à son tour, ce qui peut se faire à la majorité qualifiée, qui sera obtenue sans peine. Avec ou sans la France, dont le (la) représentant(e) viendra à peine d'être élu(e) ? ».
Aussi, s'interroge Henri Nallet, « le chef de l'Etat français peut-il inaugurer son mandat en acceptant un mauvais accord, si éloigné des engagements de la campagne ? La Commission peut-elle tenter de passer en force en mettant en minorité la France sur une question où ses intérêts nationaux sont en jeu ? Les uns et les autres ont-ils intérêt à ouvrir une crise au moment où ils doivent rechercher des accords sur la question institutionnelle, la relance des politiques communes, l'élargissement ? Récemment, le président Barroso reconnaissait que les Européens ont besoin qu'on leur démontre que l'Europe les protège plus efficacement qu'ils ne le feraient s'ils étaient seuls. Ce n'est pas avec un "accord" du type de celui qu'on évoque qu'on parviendra à persuader les Européens que l'Europe est une absolue nécessité ! ».
« Nous devons alors compter sur l'intelligence politique de la présidence allemande pour désamorcer le piège et prendre le temps de faire ce qu'il faut pour ne pas ajouter une crise à la crise. Mais suggérons aussi aux candidats à la présidence d'envoyer sans tarder les bons messages aux bons endroits », conclut l'ancien ministre de l'Agriculture.