Le beurre manque régulièrement au Japon. Une étonnante pénurie qui met en lumière les défaillances d'un secteur agricole cadenassé par les mesures protectionnistes, selon des analystes qui placent de grands espoirs dans l'accord de libre-échange Asie-Pacifique.
Les Etats-Unis, le Japon et dix autres pays de la région Pacifique, un ensemble comptant pour 40 % du produit intérieur brut mondial, sont réunis depuis le mardi 28 juillet 2015 à Hawaï pour tenter de boucler les laborieuses négociations du « Trans-Pacific Partnership » ou TPP.
Longtemps, l'Archipel a défendu bec et ongles ses cinq « vaches sacrées » – sucre, riz, céréales, viande de bœuf et de porc, produits laitiers –, se montrant peu enclin à ouvrir ses frontières. Mais sous pression, il envisagerait désormais d'abaisser les barrières douanières de certains produits. Car la situation est ubuesque : quand le beurre vient à manquer, le Japon rechigne à s'approvisionner à l'étranger du fait de tarifs douaniers élevés qu'il impose lui-même, et il finit par être acculé au recours à des importations d'urgence.
17.000 tonnes de beurre importées en urgence depuis 2014
Il s'est ainsi procuré en 2014 pas moins de 10.000 tonnes de la sorte. Rebelote cette année : pour répondre à la demande des gourmands et pâtissiers, il lui a fallu partir en quête de plus de 7.000 tonnes.
« Il est tentant de voir dans cet épisode une simple anecdote amusante, mais elle illustre plus largement l'échec de la politique agricole du Japon », estime Marcel Thieliant, de Capital Economics. « La politique de contrôle du gouvernement empêche les exploitants de réagir avec souplesse aux fluctuations de la demande ». L'Archipel a une myriade de régulations, quotas, subventions et prélèvements douaniers faramineux (jusqu'à 800 % pour le riz), qui se sont avérés un des principaux points d'achoppement dans les négociations du TPP avec les Etats-Unis.
De moins en moins d'agriculteurs japonais
Censée préserver le secteur des coups de boutoirs extérieurs, cette politique « n'a cependant pas évité le déclin du secteur », souligne l'économiste, chiffres à l'appui : « le nombre d'agriculteurs s'est effondré de moitié entre 1995 et 2013 » pour une moyenne d'âge de 67 ans, « et l'autosuffisance alimentaire du pays est tombée de 43 % à 39 % ».
« Le gouvernement a eu beau essayer de protéger les intérêts du secteur, celui-ci n'est pas devenu pour autant lucratif. Maintenir le statu quo signerait son arrêt de mort », renchérit Toshihiro Nagahama, de l'institut de recherche Dai-Ichi Life.
Selon l'association laitière nippone, les producteurs laitiers ne sont plus qu'au nombre de 18.600, soit 10.000 de moins qu'il y a une décennie. « Avec le départ à la retraite de nombreux producteurs, le nombre de vaches laitières diminue », déplore Tetsuo Ishihara, directeur général de l'association, d'où l'épisode récent de pénurie de beurre qui a même poussé certains supermarchés à rationner leurs clients. « Il n'y a pas de solution miracle pour inverser la tendance », souffle-t-il. « Et les craintes concernant le TPP ne font qu'aggraver la situation » en précipitant le départ d'agriculteurs inquiets pour l'avenir.
Les agriculteurs opposés au traité de libre-échange
Lundi à Tokyo, plus d'un millier d'entre eux, redoutant un afflux de marchandises étrangères à bas prix, sont descendus dans la rue pour exhorter le gouvernement à faire preuve de fermeté dans les négociations, selon l'agence Kyodo.
Malgré ces résistances, le Premier ministre Shinzo Abe semble résolu à faire bouger les lignes, dans le cadre de réformes structurelles plus larges pour relancer la troisième économie mondiale. Des initiatives ont été lancées pour regrouper les petites exploitations en de plus grosses entités mieux à même de concourir sur la scène internationale. Le gouvernement a également entrepris d'affaiblir via une révision législative le pouvoir de l'important lobby agricole JA-Zenchu, farouche détracteur de l'accord de libre-échange.
« Le Japon doit absolument améliorer la compétitivité de son agriculture », insiste M. Nagahama, voyant dans le TPP une chance à saisir. L'accord « contribuera à doper les exportations de produits japonais de qualité vers les marchés étrangers », assure l'analyste. « Les autorités peuvent prendre des mesures préventives pour éviter que cela ne cause des dommages catastrophiques aux fermiers. Mais nous n'avons pas le choix. »