Un dicton plein de sagesse prévient que «les arbres ne montent pas jusqu’au ciel».En ce début de campagne, on peut se demander si le ciel ne commence pas un peu plus haut que d’habitude. Après une année folle, le cours des céréales n’a pas marqué de trêve estivale. Le 23 août, le blé culminait à plus de 237 €/t sur le marché à terme pour l’échéance novembre, entraînant dans son sillage les autres céréales. Le marché physique n’était pas en reste: le 24 août, le blé standard rendu Rouen cotait 235 €/t.
La bûche qui a alimenté la flambée des prix pendant l’été - alors que la moisson fait habituellement fléchir les cours - est venue d’Europe. «La production européenne a été revue à la baisse de façon conséquente, et cela s’est reporté sur un bilan mondial déjà tendu», explique Laurine Simon, analyste chez Stratégie grains. En août, la société d’analyse a publié des estimations allégées de la production de blé tendre communautaire, désormais évaluée à 114 millions de tonnes (Mt). C’est 5 Mt de moins que les estimations avancées en juillet, et, plus grave encore, en-dessous du score médiocre de 2006.
Les espoirs d’une récolte copieuse, indispensable pour ne pas continuer à piocher dans des stocks historiquement bas, se sont évaporés avec la sécheresse à l’est du continent, en même temps qu’ils étaient lessivés en France, en Allemagne et en Angleterre, par des pluies incessantes.
«Manque de visibilité»
Avec ces récentes évolutions, qui confirment l’extrême tension qui règne sur le marché mondial des matières premières agricoles, la commercialisation va se transformer en sport de combat pour les organismes stockeurs. Et la moindre erreur se paiera cher. «Cette campagne ne vas pas être facile, reconnaît Vincent Magdelaine, directeur de Coop de France-métiers du grain. La première raison est le manque de visibilité qui rend l’anticipation difficile, comme l’a prouvé le violent retournement des prévisions. Cela s’ajoute à des volumes très nettement inférieurs à ce qu’on escomptait. Les engagements déjà pris vont donc peser relativement plus lourd que prévu sur le total de l’année, particulièrement là où la chute de la collecte est la plus marquée».
Quant aux repères, ils sont devenus mouvants depuis que les prix se sont aventurés en terrain inconnu. «Aujourd’hui, la première qualité d’un opérateur est l’humilité, estime François Pignolet, directeur des marchés de la coopérative Epi Centre. Il faut oublier les réflexes que l’on avait pris depuis dix ans, nous sommes entrés dans une nouvelle époque. On ne peut pas parler de prix élevés ou bas, car le marché peut gagner 40 €/t du jour au lendemain comme il peut les perdre».
La tâche des collecteurs sera rendue un peu plus ardue encore par les grandes disparités de qualité, qui imposeront un gros travail d’homogénéisation des lots. «Le marché fait un écart important entre les blés pouvant accéder à la meunerie et ceux destinés à l’alimentation animale», constate Christophe Comby, directeur de Graineurop, qui commercialise la collecte du groupe Unéal.
Mais malgré ce différentiel, le niveau des cours et la faible disponibilité de la marchandise devraient permettre aux blés pénalisés par un faible poids spécifique de trouver preneur à un prix auquel n’aurait pu prétendre un blé meunier il n’y a pas si longtemps.
«Beaucoup à apprendre»
Pour les agriculteurs alléchés par la hausse des prix et désireux de se charger eux-mêmes de la commercialisation, les mois à venir ne seront pas non plus de tout repos: le prix qui semble bon à un moment donné peut faire naître des regrets au bout de quelques semaines seulement. «Le plus préoccupant, c’est le risque que l’on prend sur le volume et la qualité, qui est d’autant plus grand que le tonnage engagé est important», souligne Christophe Comby. Selon le spécialiste, «les agriculteurs vont devoir se former à la culture du contrat. Il y a beaucoup à apprendre de cette campagne sur la façon d’aborder la commercialisation».
Si la fermeté des prix semble s’être installée durablement dans la campagne compte tenu du rapport entre l’offre et la demande mondiales, certains facteurs potentiellement baissiers seront à surveiller. A commencer par le comportement des fonds financiers, pour qui les matières premières agricoles sont un support de spéculation comme un autre. Même si le calme semble revenu après la bourrasque qui a soufflé sur le marché des actions, certains acteurs à la recherche de liquidités pourraient être tentés de déboucler leurs positions sur le marché des commodités agricoles.
Autre inconnue: la récolte de blé à venir dans l’hémisphère sud. La moisson argentine devrait progresser par rapport à l’an passé, et l’on attend en Australie une collecte de céréales deux fois plus importante qu’en 2006, où la sécheresse avait été dramatique pour les productions agricoles. Une bonne récolte chez ces deux grandes nations céréalières, déjà anticipée, n’aura pas forcément d’effet dépressif sur les cours. La surprise proviendrait plutôt d’une chute des prévisions, qui, à coup sûr mettrait le feu aux poudres.