Après plusieurs alertes aux STEC (E. coli excréteurs de shiga-toxines) qui ont touché différents fromages depuis l'an dernier, les appellations d'origine protégées (AOP) laitières ont voulu réaffirmer l'importance du lait cru. Lors de l'assemblée générale du Conseil national des appellations d'origine laitières (Cnaol), le 2 octobre 2015 à Gramat (Lot), le thème du colloque était « Lait cru : une pratique exigeante mais qui vaut le coup ! ».
Chercheurs, producteurs fermiers et transformateurs ont réaffirmé l'importance du lait cru dans l'expression du terroir. L'environnement de l'animal – son alimentation, son couchage, les mesures d'hygiène – influent directement sur la flore microbienne du lait. Cette flore, transférée vers les fromages dans une production au lait cru, détermine en partie les qualités organoleptiques du fromage, le savoir-faire du transformateur les modulant également.
Les témoignages d'éleveurs s'enchaînent. Pour un producteur fermier de Rocamadour, « toutes nos pratiques d'élevage se retrouvent au travers de notre produit. On ne peut pas tricher. » Pour un petit transformateur, « le lait cru est la raison d'être de l'entreprise. Nous recherchons des produits à forte typicité, que seul le lait cru peut nous donner. Mais au quotidien, c'est une vigilance permanente. »
On ne peut pas délocaliser une production au lait cru
« Le lait cru est une matière première vivante associée à la notion de terroir, décrit Marie-Christine Montel, chercheure à l'Inra d'Aurillac. Le lait cru, c'est un patrimoine qu'il faut maîtriser et dompter. Désormais, on a les outils pour mieux le connaître. La pasteurisation agit comme une « niveleuse ». Quand on réensemence, on peut reconstruire un écosystème, mais pas toute la richesse du lait cru. Enfin, on ne peut pas délocaliser une production au lait cru, contrairement au lait pasteurisé ! » Alors que les laits crus sont de plus en plus pauvres en microorganismes (du fait de pratiques d'hygiène de plus en plus drastiques), au point qu'il faut les réensemencer, chercheurs et transformateurs souhaitent « ramener de la biodiversité, tout en tenant les pathogènes à l'écart ». L'Inra travaille sur les réservoirs des flores dans l'environnement, et sur les pratiques qui les favorisent.
A l'avenir, le lait cru pourrait même devenir synonyme de bonne santé. Des recherches sur le lien entre le microbiote (la population microbienne) intestinal et la consommation de produits fermentés semblent montrer que les fromages participent à la richesse de ce microbiote, donc à son bon fonctionnement. Selon plusieurs études citées par Dominique Vuitton, chercheuse à l'Inra, la consommation de produits à base de lait cru semble réduire les risques de maladies allergiques comme l'eczéma, l'asthme, les rhinites allergiques.
Pour Dominique Chambon, président du Cnaol, « il existe désormais un large consensus sur le lait cru au sein des AOP laitières. Il n'y a pas vraiment d'opposants au lait cru en tant que tel parmi les fabricants. Leur préoccupation, c'est : comment on survit à des crises sanitaires, comment, demain, je continue à faire tourner mon entreprise s'il y a un problème. La notion de prise de risque est difficile à accepter pour le consommateur, qui veut une sécurité absolue concernant son alimentation. [...] Je suis relativement serein quant à l'avenir des AOP [au niveau européen]. Il nous faut désormais faire reconnaître nos appellations dans le TTIP. J'ai confiance [dans nos négociateurs], car les AOP, c'est aussi la défense de l'emploi et du tissu économique. Si les AOP sont affaiblies, il y a aura un vrai souci pour certaines zones rurales, où ce sont les élevages et les PME impliquées des AOP qui maintiennent une activité économique. »