Vingt-sept ministres, des eurodéputés, des membres de la Commission européenne autour d'une même grande table (et, derrière, une ribambelle de conseillers et de négociateurs, sans compter tous les traducteurs...). L'exercice était inédit. L'agriculture européenne expérimente pour la première fois la codécision et faisait, le 27 mai 2013 à Dublin, l'expérience du dialogue à trois. C'était notamment la première fois que les rapporteurs du Parlement entendaient les avis des ministres sur leurs propositions.
Simon Coveney, pour la présidence irlandaise de l'UE, a ouvert la séance. Ensuite, le président de la commission agricole du Parlement, l'Italien Paolo De Castro, s'est exprimé, réclamant notamment de lier le débat sur la Pac au débat budgétaire, ce à quoi de nombreux Etats – et notamment la France et le Royaume-Uni – s'opposent. « Sinon, nous n'aurons pas d'accord politique en juin », craint Stéphane Le Foll. « Il faut que l'on soit déterminé à régler le problème lié à la politique agricole et que l'on ne mélange pas tout », a-t-il insisté.
Ensuite, c'était au tour des trois rapporteurs du Parlement de s'exprimer, puis de Dacian Ciolos, le commissaire européen. Enfin, chaque ministre a pris la parole. Stéphane Le Foll est intervenu en sixième position, en appelant ses anciens et nouveaux collègues (respectivement les eurodéputés et les ministres) à leur « responsabilité collective » et en proposant une méthode : partir du travail des rapporteurs parlementaires pour identifier les convergences, les divergences et trouver les conditions pour rapprocher les points de vue. « Le risque est de voir chacun revenir sur les petits points pas satisfaits et de détricoter les efforts faits de part et d'autre », a-t-il déclaré. L'échange a duré 2h30. L'ambiance semblait bonne. « Il n'y a pas eu d'énormes tensions », témoigne Stéphane Le Foll. Le ministre français s'interroge néanmoins sur l'efficacité de ces réunions et, plus généralement, de la codécision. « En termes institutionnels pour l'Europe à l'avenir, il va falloir quand même évoluer un peu. On se retrouve pratiquement avec trois législateurs. Or, je pense depuis longtemps que, pour être efficace, il faut un exécutif qui fait une proposition et un législateur avec qui il discute. »
Convergence interne
Sur le fond, la convergence interne (rééquilibrage des soutiens entre agriculteurs d'un même pays) a été l'un des points durs de la discussion, notamment entre la Commission et des pays où les aides sont encore fortement liées aux références historiques : l'Irlande, l'Italie, l'Espagne et le Portugal ne peuvent aujourd'hui aller financièrement plus loin, ce qui est aussi la position du Parlement européen, semble-t-il. Un accord pourrait donc être proche sur ce point. D'autant que l'Espagne et l'Italie pourraient y trouver leur compte en optant pour une régionalisation « agronomique ». La France, sur cette question de la convergence interne, estime qu'elle a obtenu des choses, la possibilité de surprimer les cinquante premiers hectares notamment. « Donc, moi, sur ce débat, je n'ai pas de demande particulière, indique Stéphane Le Foll. Je regarde tout ça avec la volonté de parvenir à un accord. »
Couplage
Paris espère, en revanche, arracher encore quelques points de découplage. Le Parlement propose 15 % (+3 % pour les protéagineux) et le Conseil 12 %. « Entre 15 et 12 %, on doit pouvoir trouver un accord. c'est d'ailleurs plutôt ce qui est ressorti ce matin », croit le ministre français, malgré une Allemagne toujours opposée au recouplage des aides à la production, comme le Danemark ou la Suède par exemple. Des pays qui, par ailleurs, rejettent le plafonnement des aides (devenu facultatif) et toute idée de dégressivité, alors que, sur ce dernier point, la Commission et le Parlement ne s'avouent pas vaincus.
Régulation des marchés
La France a aussi des attentes en matière de régulation des marchés. « Je suis sur la ligne qui consiste à dire que l'on a besoin de régulation, et qu'il y a des choses dans le rapport Dantin qui sont très intéressantes. Je pense en particulier, pour le déclenchement des filets de sécurité, d'intégrer des coûts de production. Cela correspond à ce que l'on va faire sur la LME. Il faut aussi discuter de la question des organisations de producteurs. Sur l'après-quota laitier, il faut que l'on bataille sans lâcher l'objectif. On ne peut pas laisser l'Europe sortir des quotas laitiers, sans élément substantiel de régulation du marché. »
Verdissement
Le verdissement des aides n'a quasi pas été évoqué. Les trois institutions sont d'accord sur le principe, le taux et les trois mesures obligatoires (diversification des cultures, maintien des prairies permanentes et de surfaces d'intérêt écologique). Il reste à arrêter définitivement la liste des « mesures equivalentes ». La France veut notamment y voir figurer les GIEE (groupements d'intérêt économique et écologique) ou encore la certification HVE (haute valeur environnementale). L'idée de ne pas financer par le deuxième pilier (MAE par exemple) des pratiques rémunérées par le verdissement (30 % des aides directes) semble actée, même si l'Allemagne y est opposée. Berlin argue d'une perte financière pour ses agriculteurs et craint une concentration des aides du deuxième pilier sur les exploitations les plus performantes écologiquement, alors que d'autres auraient besoin d'être tirées vers le haut.
La fin du conseil informel est prévue mardi midi. Tous les pays ont renouvelé leur souhait de parvenir à un accord politique à la fin de juin. « Si l'on s'y met, on doit pouvoir trouver un accord », assure Stéphane Le Foll. Pour les négociations formelles de juin, il resterait une douzaine de points pour chacun des quatres règlements (paiements directs, développement rural, OCM unique et sanctions) à discuter. La négociation promet d'être longue.