La France Agricole : Le 3 septembre, les différentes délégations ont réclamé des prix ; vous avez surtout parlé de baisse des coûts. Est-ce que cela signifie que la bataille des prix n'a plus lieu d'être pour vous ?
Xavier Beulin : Mais non, absolument pas. La lutte est permanente. Toutes les discussions depuis des mois portent sur les relations avec les coopératives et les industriels, mais aussi avec la distribution et la restauration hors domicile. Après les Etats-généraux en 2014, nous avions lancé ce mot d'ordre « produire français, consommer français ». Cela passera par l'information des consommateurs, l'étiquetage, pour qu'ils puissent faire un choix éclairé. Nous entendons des consommateurs dire qu'ils sont prêts à accepter quelques centimes additionnels, dès lors qu'ils ont l'information. Avec un centime par tranche de jambon, trois à quatre centimes par steak haché, on ne tue pas le pouvoir d'achat !
Cependant, on a un défaut de compétitivité majeur. Ce qu'attendaient peut-être un certain nombre de mes collègues, le 3 septembre, c'est que le premier ministre annonce que le prix du lait sera à tel niveau, la viande bovine à tel niveau, le porc à tel niveau... Personne ne peut y croire ! Nous attendions, nous, du Premier ministre, ce qui est de son domaine de compétence : d'abord, comment répondre aujourd'hui à la détresse de milliers d'agriculteurs ; ensuite, quelles réponses apporter aux questions – qui ne sont pas nouvelles – de la compétitivité, des normes, de la règlementation, de l'investissement... Il ne faut pas se tromper d'interlocuteur : dimension interprofessionnelle sur les prix, dimension gouvernementale sur l'urgence et les mesures structurelles, dimension européenne sur les conséquences de l'embargo russe, les mécanismes de gestion de crise et de marché....
Cette promotion de l'origine France est-elle compatible avec un allègement des charges et des normes pour gagner de la compétitivité à l'exportation ?
Oui ! On est arrivé à un tel niveau de franco-français dans les normes, charges et coûts que nous devons avoir une action déterminée dans ce sens. Le bio, les signes de qualité et les circuits courts représentent 15 % de la consommation française. On doit progresser, mais ça ne va pas sauver l'agriculture... A côté, toute la production dite conventionnelle est très exposée à la concurrence européenne. On peut défendre à la fois la compétitivité - en jouant sur les normes, le réglementaire, l'investissement - et faire en sorte qu'on ne dénature pas le marqueur de l'agriculture et de l'alimentation françaises, qui repose sur la diversité.
Comment inciter à consommer français : par la qualité française, ou par des prix qui seraient plus compétitifs que ceux des produits importés ?
Concrètement, on travaille avec les collectivités sur les moyens de ne pas défavoriser l'approvisionnement français. Or les maires qui ont introduit un repas bio par semaine dans les cantines ont souvent dû diminuer leurs standards sur les trois autres repas pour retomber sur un prix de revient acceptable. Cela signifie pour eux s'approvisionner ailleurs qu'en France. Notre diversité nous impose d'avoir une gamme assez large dans les rayons. Chez nos voisins, le rayon volaille comporte trois ou quatre types de produits, pas plus. Ça veut dire que leurs transformateurs, en amont, travaillent sur des gammes très massifiées. En France, on a des coûts supplémentaires liés à notre diversité. C'est une question qu'on peut travailler avec la restauration hors domicile.
Vous parlez de massifier...Faut-il évoluer vers une agriculture binaire : production de masse pour l'export, et très haut de gamme ?
Quels que soient les segments sur lesquels nous sommes, toutes les questions transversales sur la compétitivité et les normes resteront. Si on ne travaille pas sur la compétitivité, demain on ira s'approvisionner en dehors de nos frontières ! Il faut être plus performant à tous les niveaux de la chaîne alimentaire.
Mais ces normes qui brident l'agrandissement des exploitations, font aussi partie du marqueur d'une agriculture française à taille humaine.
Oui, mais on confond la structure sociale de l'agriculture - familiale, à taille humaine, avec des agriculteurs nombreux - et la capacité de ces agriculteurs à s'organiser pour avoir en commun des outils de production plus performants : maternités collectives, réserves d'irrigation... il s'agit aussi de ne pas être seul face à tous les risques à gérer chaque jour.
Quand vous parlez « compétitivité, réorganisation », on pense inévitablement « nombre d'agriculteurs »...
Et bien pas forcément ! Il y a effectivement des optimums sur la taille de l'atelier : peut-être 400 ou 500 truies, peut-être 100 ou 150 vaches laitières. Mais la structure sociale de l'agriculture est autre chose. Dans les ateliers collectifs, on ne réduit pas le nombre de personnes ! Dans le cas de la ferme de 1000 veaux du plateau de Millevaches, je suis scandalisé ! Ce sont 40 éleveurs allaitants à qui l'on demande de faire de la valeur ajoutée sur le territoire au lieu d'envoyer leurs broutards en Italie... Ils ont en moyenne 60 vaches allaitantes, et ont décidé d'engraisser leurs broutards dans une structure commune qu'ils construisent : bâtiment bois, photovoltaïque sur le toit, méthaniseur au cul du bâtiment. Que veut-on de mieux ? C'est peut-être parce qu'ils auront cet atelier qu'ils resteront éleveurs, et on les stigmatise ! Le risque, c'est que les élevages empêchés de se regrouper disparaissent parce qu'ils n'auront pas de successeur sur ce type d'atelier... Tous les centres de gestion me disent qu'en ce moment on perd en moyenne un éleveur porcin par jour.
Il y a en Espagne des filières très intégrées. Faut-il aller vers ce genre d'extrême ?
Non, ce n'est pas du tout ce qu'on recherche. On peut en revanche aller chercher des centimes de performance à tous les niveaux. Par exemple sur la TVA ou la fiscalité des entreprises, comme nous permettre de faire des réserves les bonnes années pour les ressortir les années mauvaises. Réintégrer aussi la construction de bâtiments dans la dotation pour investissement.
Pour reconquérir le rang de premier exportateur européen - c'est votre ambition -...
Oui, je le dis, je n'en ai pas honte !
...sachant qu'on a des élevages qui sont déjà plutôt compétitifs, est-ce à l'aval de faire des efforts ?
Il faudrait peut-être voir filière par filière... Mais en porc, une étude de l'Ifip (ndlr, institut du porc) il y a deux ou trois ans était très claire : sortie exploitation nous étions parmi les meilleurs en Europe. Entrée GMS ou entrée export, nous étions presque en queue de peloton ! Nos outils de transformation perdent de la compétitivité par rapport à nos voisins, par les normes, la fiscalité, le sous-investissement aussi.
Pour gagner en compétitivité, faut-il selon vous regrouper les abattoirs, les outils de transformation ?
Il faut être un peu plus courageux qu'on ne l'a été par le passé. La mobilisation, à chaque fois, vise à sauver l'outil qui est en difficulté. Dans certains cas c'est parfaitement justifié. Mais dans d'autres, peut-être aurait-il mieux valu le fermer, et consolider un outil voisin pour le rendre plus performant...
Et dans les zones à faible densité ou en montagne, n'est-ce pas important de garder des outils de proximité ?
Si ! C'est la différence à souligner ! Dans le lait, on critique les outils coopératifs, mais dans les régions à faible densité ou en montagne, où les coûts de collecte sont beaucoup plus élevés, qui reste sur le terrain ? La coopération ! Il ne serait pas incongru que soit apporté un soutien spécifique à ces opérateurs. Le soutien aux handicaps naturels doit concerner aussi certains outils de transformation sur ces territoires : laiteries, abattoirs qu'on a besoin de garder.
On a entendu des manifestants dire qu'ils ne se retrouvent plus dans leurs coopératives.
C'est pour ça qu'on a lancé avec Coop de France une initiative commune qui vise d'abord à « ouvrir » nos coopératives. Il faut qu'il y ait plus de dialogue avec les adhérents, plus de transparence. Il faut aussi repenser la définition de la « contractualisation » pour une coopérative. Le fait d'adhérer à une coopérative est déjà une forme de contrat, mais on peut aller plus loin. Mais comme pour toute entreprise, l'équation économique est redoutable.
Vous-même, président du groupe Avril, comment gérez-vous les consignes à donner par exemple à Sanders dans le cadre de cette crise, par rapport au prix de l'aliment ?
Le président d'Avril a évidemment un regard générique sur l'économie agricole. Il doit aussi être respectueux des équations économiques. Dans la crise laitière, je ne peux rien imposer parce que je me retrouverais devant les tribunaux pour avoir dérogé aux règles de la concurrence. Mais par exemple sur le cadran, qui conditionne 95 % du prix payé sur l'ensemble des cochons français, j'ai demandé à réfléchir à des modes alternatifs et complémentaires. Une partie de la production pourrait avoir ses propres paramètres pour fixer les niveaux de prix à travers l'ensemble des maillons de la chaîne, du producteur au consommateur. On m'oppose qu'on ne pourra jamais avoir de contrats entre producteur, transformateur et distributeur... Moi je crois qu'on peut imaginer des indicateurs qui permettraient de mieux payer les producteurs.
On a l'impression d'être arrivés au bout du bout de la logique de restructuration et de réorganisation : aujourd'hui il faut absolument des prix pour les producteurs.
Oui...mais cela ne se fera qu'en revalorisant le standard de prix européen. On ne pourra pas, nous, être déconnecté du niveau européen. On pourra peut-être obtenir quand même un petit bonus avec l'étiquetage d'origine. Mais il est indispensable d'améliorer le volet compétitivité. Ou alors demain on ferme nos frontières.
Développer l'export, ça veut dire quand même d'une certaine manière renoncer à se battre pour des prix élevés ?
Oui.
N'est-ce pas dans l'intérêt des IAA plus que des agriculteurs ?
Non. C'est vraiment les deux. L'exemple de l'embargo russe est flagrant. Le reflux de ce que nous n'exportons plus aujourd'hui vers la Russie sur le marché européen, c'est une des causes de la dégradation de la situation aujourd'hui.
Une situation entraînée justement par le développement de la production pour l'exportation ?
Ah, mais on n'est pas dans un monde de bisounours ! Quand on produit en France plus cher que nos voisins, ils font de la France un marché de dégagement par rapport à ce qu'ils n'exportent plus sur la Russie. On ne peut pas accepter cela ! C'est aussi ce qui s'est passé sur la pêche espagnole l'an dernier : ils vendaient leurs fruits 1 €/kg en Espagne et faisaient de la France un marché de dégagement où ils les vendaient à 0,60 €/kg.... Mais l'export, pour la France, est un vrai sujet de valeur ajoutée, d'emplois... On ne peut pas cracher dans la soupe ! Une moyenne de 10-12 milliards à l'exportation sur les dernières années, c'est colossal.
Bravo
samedi 12 septembre 2015 - 10h42
* Message Bravo pour cette interview de X. Beulin. C'est l'interview la plus intéressante que j'ai lue du pdt de la FNSEA. Ce sont les questions que tout le monde se pose. Mais qu'on n'arrive jamais à poser... Chacun peut maintenant se faire son opinion !