Les achats internationaux de terres dans les pays en développement (« landgrabing ») s'avèrent bien moins importants que ce qui était jusqu'à présent estimé (-61 %), selon la Land Matrix, base de données indépendante qui enregistre un « réel ralentissement » du phénomène.
Selon une nouvelle évaluation présentée cette semaine, les transactions foncières à grande échelle concernent 32,3 millions d'hectares (et 756 accords ou contrats), contre 83,2 millions d'hectares estimé en 2012 pour un total de 1.217 transactions.
La Land Matrix, projet indépendant qui associe les chercheurs de cinq grands instituts dans le monde (dont le Cirad français, le Giga allemand et la Coalition internationale pour l'accès à la terre), justifie cette mise à jour par sa capacité à distinguer désormais « les transactions prévues, les transactions conclues et les transactions qui ont échoué ».
« Dans la version initiale en 2012, on n'arrivait pas encore à distinguer les différentes phases de l'investissement, de l'annonce jusqu'au projet signé et éventuellement annulé ou abandonné », explique Ward Anseeuw, l'un des chercheurs du Cirad joint par l'AFP en Afrique du Sud.
La nouvelle version distingue donc la négociation du contrat mis en œuvre et précise l'état d'avancée des projets – agricoles, miniers, touristiques... – ainsi que la nature et l'origine géographique des investisseurs – Etats (Chine, Golfe), groupes agroindustriels ou institutions financières (fonds de pension ou d'investissement).
Le chercheur détaille ainsi le cas d'un investissement de fermiers sud-africains au Congo-Brazzaville : « On entendait parler de 10 millions d'hectares : en fait, la négociation a porté sur 200.000, la signature sur 80.000 ha et, au final, ils en ont reçu 50.000, mais seuls 5.000 ha sont réellement en culture ».
Cette révision à la baisse n'exclut pas un ralentissement bien réel des achats de terres, relève Ward Anseeuw. « La raison principale est le grand nombre de faillites de ces investissements, pour des raisons techniques ou de gouvernance », entourés de corruption et d'insécurité.
Instrument de promotion de la transparence
Ward Anseeuw cite ainsi le cas du grand projet ProSvana soutenu par le gouvernement brésilien dans le nord du Mozambique (14 millions d'hectares destinés au soja, maïs et autres grandes cultures d'exportation), « en négo depuis deux ans et qui n'a toujours pas abouti ».
Sans rappeler l'échec du géant coréen Daewoo, contraint en 2009 d'abandonner ses projets à Madagascar.
« Certains pays ont pris conscience qu'ils devaient se montrer plus prudents en créant des administrations pour faciliter et formaliser les accords. L'investissement agricole en Afrique est négligé depuis les années 1960, il ne faudrait pas le faire fuir. »
Car le continent reste de loin le plus visé avec au moins 367 contrats signés sur 21 millions d'hectares – et 105 encore au stade de l'intention (intended) ; devant l'Asie avec 270 accords vérifiés sur 5,78 millions d'hectares et 31 « intentions » ; l'Amérique latine (71 accords conclus sur 1,7 million d'hectares) ; enfin l'Océanie avec 44 contrats.
Les « investisseurs institutionnels comme les fonds d'investissement ou les fonds de pension ne lâchent pas », note M. Anseeuw. « Mais parfois, ils adoptent de nouvelles stratégies de contrôle de la production agricole, via des engagements contractuels (contract farming) », par exemple.
Certains se tournent aussi vers des « pays plus sûrs », comme le Canada ou l'Australie. Ainsi « le Qatar a acquis 22 millions d'hectares en Australie mais c'est moins visible, car ce sont des terres privées » – et non communautaires ou régies par le droit coutumier comme le plus souvent en Afrique.
Pour essayer de suivre au plus près les évolutions sur le terrain, la Land Matrix prépare la création d'observatoires nationaux au Laos, au Cambodge, à Madagascar, en Tanzanie et au Pérou. « Le projet est en train de se transformer de base de données et de mesure en un instrument de promotion de la transparence, si possible dans chaque pays » concerné, se réjouit Ward Anseeuw.
La carte interactive de la Land Matrix, consultable en ligne (www.landmatrix.org/entreprises), compte aussi sur la contribution du public pour enrichir ses données (« crowdsourcing »).