A 82 ans, François Guillaume, doué d'une mémoire peu commune, toujours aussi exigeant, souvent intransigeant vis-à-vis de ceux qui l'ont déçu, publie un livre de mémoire et de combat : « Un paysan au cœur du pouvoir ». Il était le 14 avril 2015 l'invité de l'Afja (Association française des journalistes agricoles).
François Guillaume fut président du CNJA puis de la FNSEA avant de devenir ministre de l'Agriculture sous la présidence de Jacques Chirac de 1986 à 1988. Il a ensuite poursuivi son combat pour ses idées au Parlement européen puis à l'Assemblée nationale. « Je ne parle jamais de mes successeurs », annonce-t-il d'emblée, interrogé sur la centrale syndicale qu'il a présidé. Tout en poursuivant : « Avec la cogestion, la profession proposait une politique et la discutait avec le gouvernement. Cela aurait dû continuer. L'échec de la politique actuelle se mesure quand on voit les Allemands devant nous. L'Allemagne est devenue l'homme fort de l'Europe. Sans parler des Américains ou des Néo-Zélandais. »
Il est peu amène sur les hommes politiques français : « Les équipes actuelles n'ont ni la connaissance, ni la résistance au travail que l'on avait. Ils représentent avant tout leur parti, ne sont pas toujours au fait des sujets. Etre ministre cela demande d'être très investi. Aujourd'hui, certains écrivent des livres. D'autres cumulent les fonctions. Qui dirige ? C'est l'Administration. Le débat sur le TTIP (partenariat transatlantique de commerce et d'investissement) se fait en catimini avec les technocrates. Je suis inquiet car je sens que l'on va encore céder et les Allemands aussi. »
Il passe allègrement à la paille de fer nombre d'hommes politiques
Même s'il dit ne pas vouloir commenter l'action des présidents de la FNSEA qui lui ont succédé, il n'est pas tendre non plus avec la profession qui aurait lâché les rennes dans presque toutes les organisations agricoles : « Nous avons créé les Safer pour récupérer les terres disponibles à l'encontre des notables. La profession aurait dû garder le contrôle d'un outil indispensable comme la Safer, ne pas accepter son affaiblissement ni partager la décision avec des élus. » Idem pour les coopératives qui ne défendraient plus les intérêts de ceux qui les ont créées : « Elles ont été créées pour redonner du pouvoir aux paysans, pour qu'ils bénéficient aussi de retombées économiques. Mais aujourd'hui elles créent des sociétés anonymes où les paysans ont peu de pouvoir. Yoplait préfère se vendre à un américain plutôt qu'à un groupe français. Que dire de la privatisation du Crédit agricole sous les socialistes ? Ce crédit est devenu aussi agricole que le Crédit Lyonnais est de Lyon », plaisante-t-il amère.
Il tacle aussi le ministre de l'Agriculture : « Produire plus avec moins d'intrants, c'est ce que j'ai fait toute ma vie comme le font les agriculteurs. Monsieur Le Foll avec l'agroécologie est comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. » Réflexion à l'image de son livre : il légitime chacune de ses actions qu'il écrit avoir mené dans l'interêt du monde paysan. En revanche, il passe allègrement à la paille de fer nombre d'hommes politiques, hommes (et femmes) de gauche en priorité mais aussi hommes de droite jugés trop conservateurs, ou peu respectueux de la parole donnée et du monde paysan.
Sur le pluralisme syndical qu'on lui a reproché d'avoir malmené, il répond sans embarras : « Je visais l'unité syndicale que je défendais. Ensuite, c'est le peuple (ceux qui votent) qui décide ». « Mon combat aujourd'hui c'est le combat contre la faim, la création d'une sorte d'Opep des produits agricoles. Les présidents me reçoivent (Nicolas Sarkozy, François Hollande) m'écoutent. Cela ne va pas plus loin. La faim dans le monde n'intéresse personne. Pourtant, c'est la première cause de l'immigration que certains redoutent ». Sur ce sujet, il compte bien continuer à précher. Même dans le désert.