Publié le jeudi 12 mai 2011 - 19h58
Si le baromètre climatique est au beau fixe, le moral des agriculteurs chute avec les potentiels de rendement en grain.
« Ce que nous voyons en plaine est inqualifiable, déplore un opérateur en Lorraine. Le potentiel de rendement est irrémédiablement atteint pour beaucoup de parcelles. Il n'y a plus de talles secondaires, les pieds sont disséqués. » Le ton est désespéré et le constat sans appel : des pertes de rendement de 30 à 50 % en blé sont déjà observées dans la plupart des Régions (Midi-Pyrénées, Aquitaine, Poitou-Charentes, Bourgogne, Lorraine, Picardie...).
Aujourd'hui, seules les céréales dans les sols les plus profonds n'ont pas encore subi de stress hydrique préjudiciable au point d'être irréversible... sous réserve de ne pas avoir de carence azotée induite. C'est le constat réalisé par Jean-Charles Deswarte, spécialiste en écophysiologie chez Arvalis (lire l'encadré).
Seule la Bretagne semble s'en sortir mieux que les autres régions grâce aux pluies d'orage qui sont tombées les deux derniers week-ends. « L'état des cultures s'est bien amélioré depuis dix jours dans l'ouest de la Bretagne, précisait un conseiller, mais plus à l'est (Normandie et Pays de la Loire), la situation est délicate. »
Parfois, les cultures n'ont pas vu d'eau depuis le début d'avril tout en subissant de fortes températures, notamment dans le Sud-Ouest et le Nord. Seuls des orages sont tombés de façon très localisée. Avril 2011 est d'ailleurs le mois le plus sec depuis 1959.
« Le déficit pluviométrique va jusqu'à frôler les 100 % dans de nombreuses régions en avril », selon le ministère de l'Agriculture. Le mois d'avril est aussi le deuxième plus chaud depuis 1900, derrière avril 2007, avec 14,5°C en moyenne, soit 4°C de plus que la normale. Selon Météo-France, « en surface, les sols sont beaucoup plus secs qu'en 1976, où il y avait un peu de pluie en février et en avril ».
De dix à quinze jours d'avance
Pour les orges d'hiver et les blés durs, les stades varient de l'épiaison jusqu'au début du remplissage. Les blés tendres atteignent le stade de la dernière feuille et du gonflement au nord de la Seine et l'épiaison au sud. De dix à quinze jours d'avance sont observés. Le dernier apport d'azote, dans les rares cas où il a pu être épandu, a été revu à la baisse pour s'adapter au nouveau potentiel de rendement, et a finalement été très peu efficient, notamment dans un grand tiers nord.
Le nombre de talles et d'épis a été fortement touché. En Charente, on compte 250 pieds/m2 et 350 épis/m2 au lieu des 450/600 habituels selon les variétés. « Au départ, le tallage était convenable mais toutes les talles sont redescendues, observe un conseiller. Au final, nous avons souvent une seule tige. »
La situation varie néanmoins selon la réserve utile (si les sols superficiels souffrent depuis longtemps, c'est désormais le tour des sols profonds) et la localisation des orages.
Concernant l'orge d'hiver, le calibrage va aussi être fortement atteint mais le verdict devrait vite tomber puisque la moisson est annoncée dans moins d'un mois dans le Poitou-Charentes, en Bourgogne et dans les Pays de la Loire notamment.
Dès maintenant, certains polyculteurs-éleveurs ensilent, fauchent ou enrubannent leurs céréales d'automne pour compléter leur fourrage et semer ensuite du sorgho ou des légumineuses en dérobé.
Pour les autres, il leur reste à espérer que le poids de mille grains (PMG) compense un peu. Une protection de la dernière feuille du blé contre la septoriose sera d'ailleurs nécessaire pour assurer un bon remplissage. Mais si l'absence d'eau perdure, ce dernier sera critique.
Sur colza, avec une floraison précoce, « des étages entiers de siliques ont avorté » dans le Midi-Pyrénées. Ailleurs, le nombre de siliques paraît correct mais de fortes inquiétudes portent sur le PMG. L'oïdium, favorisé par les conditions sèches et chaudes, est aussi à surveiller.
Du côté des cultures de printemps, les maïs qui ont pu être semés assez tôt s'en sortent bien tandis que les autres souffrent de la sécheresse. « Certains n'ont pas pu semer leur maïs et leur tournesol dans les terres argileuses du Lot-et-Garonne à cause du sec. Ils ne feront rien et laisseront leur terre nue jusqu'à l'automne prochain. Certaines années, il vaut mieux ne rien faire... », se désole un conseiller.
D'autres, notamment dans le Centre, préfèrent remplacer le maïs par du sorgho, plus résistant à la sécheresse. Pour les maïs qui sont levés, des dégâts d'oiseaux et des problèmes d'efficacité du désherbage sont tout de même observés à cause des conditions particulièrement sèches.
Mais le pire concerne peut-être l'orge de printemps, les pois et les féveroles. Le potentiel est déjà réduit de 60 % en orge de printemps, dans l'Oise, avec des déclassements importants à prévoir.
Quant aux pois, « ils sont en pleine fleur alors qu'ils mesurent à peine 15 cm de hauteur », constate un opérateur de Bourgogne.
Ceux qui sont équipés ont irrigué et en sont parfois à leur troisième passage d'une trentaine de millimètres. Selon Jean-Charles Deswarte, il est encore possible d'irriguer les céréales avant la floraison dans les zones nord, en faisant attention de bien positionner le tour d'eau (avant la sortie des étamines) pour limiter le risque fusariose. « Cela permettrait d'éviter encore une régression des talles et de ne pas altérer la structure de l'épi. »
Céréales : dégâts irréversibles au sud de la Seine
« Au sud d'une ligne allant de la Bretagne à l'Alsace, le potentiel des céréales est entamé de manière irréversible », affirme Jean-Charles Deswarte, spécialiste en écophysiologie chez Arvalis. Les sols superficiels à moyennement profonds (avec une réserve utile inférieure à 150 mm) sont les plus touchés, ainsi que les parcelles avec une carence azotée forte qui a engendré d'importantes régressions de talles et une faible biomasse.
« Dans les zones précoces, la floraison est trop proche ou déjà dépassée pour espérer un rattrapage : seul le poids de mille grains peut éventuellement compenser légèrement », détaille le spécialiste. Et d'ajouter : « Les rares situations tardives en milieux profonds (nord et est de la France) qui n'auraient pas subi de carence azotée induite pourraient pleinement bénéficier d'un retour des pluies et ne pas subir de pénalité de rendement. »
Pourquoi en est-on arrivé là ? « On considère qu'un déficit hydrique avant la floraison est pénalisant sur blé tendre dès qu'il atteint 40 mm. Or, sur l'ensemble du territoire, les déficits hydriques sont de l'ordre de 80 à 120 mm pour les sols superficiels (réserve utile égale à 70 mm), contre 0 à 20 mm pour les sols très profonds (RU = 200 mm) ».
« La composante de rendement principale est le nombre de grains/m² (nombre d'épis multipliés par la fertilité des épis) : elle est directement touchée par les conditions actuelles ».
Le PMG ne s'établit que pendant la phase de remplissage, et n'a qu'une capacité de rattrapage réduite (de 15 à 20 % au maximum), notamment si la totalité du remplissage se fait dans de bonnes conditions (ce qui est déjà compromis pour la moitié sud de la France).
Autres conséquences de la montaison chaude et sèche : les blés sont plus courts, à cause des fortes températures qui n'ont pas permis à la plante de « s'élancer », et ont moins de tiges à cause du déficit hydrique. « La production de paille va être faible », alerte Jean-Charles Deswarte.
I.E. |
Restrictions d'usage de l'eau
Mais l'arrivée des restrictions d'usage pourrait sonner le glas de l'irrigation plus tôt que prévu. Beaucoup d'opérateurs conseillent donc de privilégier l'irrigation des blés face aux cultures de printemps car « il n'y aura peut-être plus d'autorisation cet été ». Au 9 mai 2011, dix-neuf départements étaient concernés par des arrêtés « sécheresse » dont les quatre de la Région Poitou-Charentes. Dans beaucoup de départements, des comités en charge de la sécheresse sont déjà organisés chaque semaine pour revoir les restrictions.
« Nous avons deux mois et demi d'avance sur les étiages des nappes et des cours d'eau, constate Dimitri Deslandes, de la chambre d'agriculture de l'Indre. Notre situation à la mi-mai correspond à celle de la fin de juillet. »
Au niveau national, les ministères prennent ce sujet très à cœur. Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture, après une visite d'exploitation dans la Vienne le mercredi, a présidé son premier comité sur la sécheresse, jeudi. Un autre comité, organisé cette fois par le ministère de l'Ecologie, aura lieu le lundi 16 mai 2011. De son côté, la FNSEA a créé le mercredi 11 mai 2011 un groupe en charge de l'eau qui doit réfléchir à la constitution de réserves.
Les volumes engagés à la vente ne seront pas toujours honorés
Mais si cette sécheresse inquiète autant, c'est aussi parce beaucoup d'agriculteurs se sont engagés sur des volumes en céréales auprès de leur organisme stockeur qu'ils ne pourront peut-être pas honorer. L'attente de la moisson sera d'autant plus stressante pour ces agriculteurs que le prix risque de monter en flèche, comme l'atteste l'alerte du lundi 9 mai 2011 avec une hausse de plus de 20 €/t pour la nouvelle récolte à l'échéance d'août 2011. Une hausse qui devrait perdurer vu la situation climatique très préoccupante sur le Nord communautaire (nord de l'Allemagne, Pologne).
F.M.
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