Même si, depuis deux ans, printemps ou été ont été pluvieux, il ne faut pas oublier que ces saisons sont souvent synonymes de manque d’eau. Cette pluie donne justement le temps de mieux préparer les périodes de sécheresse. Et une gestion des ressources en eau doit s’inscrire dans le long terme pour répondre à trois enjeux: la sécurité alimentaire, le changement climatique et le développement durable.
Pour favoriser cette gestion, plusieurs textes réglementent l’utilisation des ressources. Au niveau européen, la directive-cadre sur l’eau (DCE) de 2000 repose notamment sur la gestion par bassin versant et la planification des actions. La loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 doit permettre d’atteindre les objectifs de la DCE à l’échelle française et a introduit la notion de gestion collective de l’irrigation. Un organisme unique doit être créé pour permettre une gestion cohérente de la ressource en eau dans les zones de répartition des eaux (ZRE), c’est-à-dire là où le déséquilibre entre les prélèvements et les ressources est chronique (lire "Irrigants: jeu collectif pour tous ").
Déterminer les volumes
Auparavant, les autorisations étaient données en fonction de la demande, et des restrictions d’irrigation étaient appliquées au coup par coup. En 2011, les autorisations ne seront données qu’en fonction du volume disponible sur le bassin versant. Selon l’APCA (chambres d’agriculture), pour une gestion durable des ressources en eau, les agriculteurs sont favorables à un renforcement de la concertation sur les territoires avec les différents acteurs: Etat, collectivités locales, agences de l’eau, usagers. Cette entente permettrait de déterminer les volumes prélevables et ceux attribués à chaque usage dans le cadre du développement durable.
Depuis le Grenelle de l’environnement, le Comité opérationnel de l'eau (Comop Eau) propose que les agences de l’eau soient chargées, sur les deux ou trois années à venir, de définir les volumes disponibles en ZRE, en donnant la priorité à l’étude des masses d’eau souterraines. Le Comop insiste sur le fait que « l’idée est bien de n’autoriser le stockage qu’à la condition qu’il y ait eu une réflexion sur les systèmes de production et les pratiques d’alternatives culturales. Le stockage devenant alors la dernière des éventualités ».
Pour la profession, le stockage répond au contraire à une réalité économique et au besoin de produire plus et mieux. « Les fortes précipitations de ces dernières semaines permettent de recharger les nappes phréatiques à une période ou habituellement elles amorcent leur baisse. Mais dans un contexte d’incertitude liée au changement climatique (lire "Changement climatique: de lourds impacts ", cinquième article de ce dossier), il est urgent de capitaliser sur les périodes de fortes pluies et ainsi pallier les éventuelles périodes de sécheresse. Nous avons tous en mémoire les étés de 2003 et 2005 », rappellent en cœur Orama et Irrigants de France. Les deux syndicats demandent donc que de « véritables moyens financiers soient effectivement mobilisés pour le stockage de la ressource en eau ». Le coût de l’investissement nécessaire à la construction de retenues de substitution est estimé à 3 ou 4 €/m³, selon le ministère de l’Ecologie.
Pour mieux utiliser la ressource, plusieurs outils de pilotage de l’irrigation sont à la disposition des agriculteurs: Irrinov (Arvalis), BHYP (bilan hydrique prévisionnel de la chambre d’agriculture 31), Girrig (chambre d’agriculture 28), Irribet (ITB)... Une irrigation fondée sur l’utilisation des réserves en eau du sol et la connaissance des périodes de sensibilité à la sécheresse permet de bien valoriser l’eau. Des tours d’eau positionnés grâce à ces outils peuvent ainsi limiter les dégâts de la sécheresse au printemps.
Des projets de recherche sont également en cours comme notamment le programme de l’unité mixte technologique «Outils et méthodes pour la gestion quantitative de l’eau: du bloc d’irrigation au collectif d’irrigants» (Arvalis, Inra, Cetiom). Le projet Casdar Eau Midi-Pyrénées qui en est issu permettrait de mieux connaître les pratiques des irrigants et ainsi d’adapter et d’améliorer la gestion quantitative de l’eau. Une enquête réalisée en 2005 auprès de cinquante-sept exploitations de cette région a d’ailleurs montré que « le matériel d’irrigation était âgé en moyenne de onze ans, explique Jean-Marc Deumier, d’Arvalis. Un matériel ancien qui attend d’être renouvelé ». Selon la profession, la recherche sur le matériel agricole et les techniques d’arrosage doit être poursuivie pour favoriser une utilisation économe de l’eau, une réduction de la consommation énergétique et une limitation du temps de travail. Le goutte-à-goutte permet notamment une économie d’eau en répondant au plus juste aux besoins de la plante et en limitant les pertes par évaporation.
Adapter les espèces
L’adaptation des systèmes de culture en fonction de la disponibilité en eau se fait aussi grâce à des solutions agronomiques. En premier lieu, stocker et conserver l’eau dans le sol peut se révéler très utile, notamment si la fréquence des sécheresses d’automne et d’hiver devait augmenter. Un travail du sol superficiel avec mulch de résidus de culture peut ainsi réduire l’évaporation et faciliter l’infiltration en réduisant le ruissellement. « En irrigation limitée, conseille Philippe Debaeke, de l’Inra de Toulouse, il peut être judicieux de choisir des espèces adaptées à la réserve utile du sol: colza, blé, orge dans les petites terres à cailloux, tournesol et sorgho dans les sols moyennement profonds par exemple. »
La stratégie d’esquive consiste, elle, à décaler les stades phénologiques les plus sensibles au déficit hydrique (souvent la floraison) par le choix de variétés précoces (lire «Nous apprenons à gérer la pénurie» , troisième article de ce dossier) ou de semis anticipés. En 2005, par exemple, des essais en maïs d’Arvalis dans le Poitou-Charentes ont prouvé le gain net de 4 ou 5 q/ha pour les variétés demi-précoces avec arrêt précoce de l’irrigation à la fin de juillet. Avec une irrigation sur tout le cycle, ces mêmes variétés présentent toutefois une perte de rendement de 4 à 6 q/ha par rapport aux variétés plus tardives.
En blé tendre, « la gamme variétale est large et les connaissances en sélection génétique devraient nous permettre une adaptation rapide (précocité) au réchauffement climatique et un gain en efficacience de l’eau », estime Philippe Gate, d’Arvalis. L’orge d’hiver possède le cycle le mieux adapté parmi les céréales et l’orge de printemps pourra être semée dès l’automne dans les milieux les moins gélifs grâce à des variétés tolérantes aux maladies. « La plus faible biomasse obtenue à la floraison peut être compensée par la fertilité et le poids des grains, estime Philippe Gate. Si le poids de mille grains est élevé, le comportement sera meilleur sous contrainte hydrique avec de fortes températures. » Mais la stratégie la plus efficace est peut-être encore celle du rationnement pour limiter les besoins en eau des cultures. « En diminuant la densité de peuplement et la fertilisation azotée, il est possible de réduire la surface foliaire et de limiter ainsi la transpiration », explique Philippe Debaeke.
De 1995 à 2005, la consommation d’eau par l’agriculture a pu être réduite de 20 à 30% pour une production identique et ce, grâce au perfectionnement des matériels d’aspersion, à l’utilisation des logiciels informatiques de gestion de l’irrigation et à l’amélioration génétique des variétés (lire Maïs et tournesol: améliorer la tolérance à la sécheresse , sixième article de ce dossier).
Le choix de variétés tolérantes à la sécheresse ou au manque d’eau représente aussi un levier crucial pour faire face au réchauffement climatique. La recherche s’attelle également aux solutions agronomiques innovantes: mélanges variétaux et cultures associées (blé dur et protéagineux mélangés dans la même parcelle par exemple).
Adaptations variétales
Pour les productions fourragères, les semenciers aussi adaptent leur catalogue au réchauffement climatique. Jouffray-Drillaud dispose notamment de variétés de brome qui tolèrent bien des températures élevées et qui démarrent précocement au printemps. Des mélanges multi-espèces permettent aussi d’étaler dans le temps la production et de créer des stocks.
Mais la recherche de stratégies culturales et de variétés adaptées à la disponibilité en eau ne doit pas occulter l’influence des prix des matières agricoles. « Dans le contexte actuel de la hausse importante des prix, les systèmes plus économes en eau deviennent moins intéressants par rapport à des systèmes très consommateurs d’eau mais très productifs », explique Philippe Debaeke, d’après des travaux réalisés par l’Inra.
Xavier Cassedanne, d’Arvalis, va plus loin en annonçant des réductions de marges nettes obligatoires à la suite de la réduction des volumes d’irrigation et à la diminution des aides Pac. « La viabilité des exploitations va réellement dépendre du contexte de prix agricoles. Avec la Pac de 2013, des assolements irrigués et secs seront non viables avec un contexte de prix de 2005 dans les exploitations étudiées de la vallée de la Garonne, des coteaux nord-aquitains et des coteaux du Gers. » Les solutions pour limiter la baisse de la marge nette paraissent également peu efficaces selon cette étude. « Même avec des prix de 2007-2008, dans un contexte de volume d’eau limitant, l’introduction de maïs esquive ou de sorgho entraîne une baisse de la marge nette. Seule la création d’une réserve d’eau l’améliore, à condition de rester avec des prix de 2007-2008. » Xavier Cassedanne conclut que « la volatilité des prix, la diminution des aides et la réduction du volume d’eau d’irrigation fragilisent la rentabilité des exploitations du Sud-Ouest. Il faut donc continuer à développer la recherche et l’innovation technique et génétique. »
par Isabelle Escoffier, Florence Mélix et Nadia Savin (publié le 27 juin 2008)
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