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Article 10 :

Inondations : les sinistrés veulent repartir

En Vendée, Dominique Gorichon (à gauche), ainsi que Didier et Olivier Bertrand sont polyculteurs-éleveurs à L'Aiguillon-sur-Mer. Deux jours après la tempête, l'eau menaçait la chèvrerie du Gaec Bertand. 

En Charente-Maritime, huit jours après, les terres de Brice Besson et de son père étaient toujours inondées.

 

En Vendée, quarante exploitants ont vu leur siège d’exploitation inondé. Dans le marais poitevin, 12.000 hectares ont été submergés, 2.000 dans le marais breton vendéen. Le département a payé le plus lourd tribut humain, avec 29 des 51 morts.

Dans la Charente-Maritime, c’est sur le plan économique que la facture va être énorme. Tout le littoral a été touché par la tempête Xynthia : 40.000 ha ont été inondés, sur une bande côtière d’une largeur de quelques centaines de mètres à une dizaine de kilomètres.

 

En Gironde aussi. Sur cette photo satellite prise sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde, à Anglade, on peut voir en bleu turquoise une partie des 7.000 hectares de terres agricoles inondées, dont 4.500 ha de prairies et 2.500 ha de terres arables.

 

« Au moins, nous sommes vivants ! » Didier et Olivier Bertrand élèvent 600 chèvres tout près de la zone commerciale de L’Aiguillon-sur-Mer (Vendée). Il y a un an, ils ont déplacé leur élevage de deux cents mètres vers le centre de leurs terres de marais pour échapper à l’emprise grandissante de la ville. C’est la mer qui les a rejoints.

« Quand elle a débordé dans la nuit du samedi 27 au dimanche 28 février 2010, très vite mon frère et sa famille ont été prisonniers de leur maison. Nous avons laissé l’élevage pour les secourir avec le tracteur. Ensuite, c’est en ville que l’on a eu besoin des agriculteurs pour dégager les routes. C’était l’essentiel. Ici, il y a eu des enterrements. »

Même pudeur, même préambule chez Dominique Gorichon, en Gaec avec son frère : « Notre exploitation est sur la pointe de L’Aiguillon, juste derrière la digue. A 4 heures du matin, l’eau de mer est montée de 10 à 70 centimètres en un quart d’heure. Nous sommes au bord de l’océan mais nous n’avions jamais vu l’eau dans la cour. Vu le courant, nous n’avons pas eu d’autre choix que de nous réfugier sur des bottes de paille et d’attendre le lever du jour. »

Dans sa maison et dans celle de son frère, l’eau montera à plus de 1,50 mètre dans la cour de ferme, charriant sable et sel, qui s’insinuent partout. « Nous n’avons plus rien : maison, matériel, bâtiments, installations électriques, tout a été touché. Les 240 ha que j’exploite en Gaec avec mon frère sont encore inondés. Sur mes 200 brebis inscrites, 60 ont échappé par miracle à la montée des eaux dans une parcelle de luzerne. »

Chez Didier et Olivier Bertrand, si l’eau a envahi les terres, le dimanche elle épargnait encore le nouveau bâtiment. Mais le lundi elle continuait de monter sournoisement : « C’était la mer partout. Les gens du pays, que l’on n’écoute pas mais qui connaissent le terrain, savaient, eux, où les digues avaient cédé faute d’entretien. Lundi, la mer passait encore par cinq brèches. » L’eau s’approche dangereusement du bâtiment.

  

Solidarité

« Grâce à la solidarité agricole, nous avons reçu du remblai. Les pompiers sont venus pomper l’eau autour de la chèvrerie toute la journée du mardi et la nuit suivante. Une quinzaine de chevrettes sont mortes de stress. » Il reste l’autre souci des frères Bertrand comme des frères Gorichon : les terres gorgées d’eau salée, le blé dur qui jaunit, le devenir de la luzerne porte-graines, le maïs que l’on devait semer à la fin du mois.

En Charente-Maritime, Brice Besson, à Fouras, sait ce qu’il va devoir revivre : « C’était comme pendant la tempête de 1999. » Sur les 230 ha qu’il exploite avec son père, soixante étaient submergés : « Une moitié était semée en blé, l’autre moitié était prête pour le maïs. La mer a apporté avec elle des débris qui bouchent les fossés, freinent ou même bloquent l’évacuation de l’eau. »

Comme la dernière fois, il faudra nettoyer à la pelle ces fossés et les rigoles de drainage. Et puis remettre en route la pompe qui a été noyée par la mer, pour évacuer des centaines de milliers de mètres cubes. « Il reste à espérer un été sec pour assainir les parcelles avant de les gypser. En 1999, la tempête avait eu lieu deux mois plus tôt. Nous avions eu plus de temps pour réagir. Cette année, il n’y aura aucun rendement, s’inquiète Brice Besson. Avant de savoir si cela vaut la peine de continuer, attendons de voir les aides que nous recevrons. »

En 1999, la perte de fonds et la perte de récolte avaient été prises en compte. Pour la première, le gypsage des sols inondés avait été entièrement financé. Quant à la seconde, cela s’était traduit par la possibilité d’emprunter à 1 % sur dix ans. « Mais ainsi, on ne  fait qu’étaler la perte », souligne  le père de Brice. 

 

Incertitudes sur les aides

Partout la profession s’organise pour soutenir moralement les sinistrés et défendre leur droit à être encore là demain. Cela se fait autour de la chambre d’agriculture dans la Charente-Maritime, autour de la FDSEA en Vendée, « sans exclusive syndicale », précise son président, Joël Limousin.

Tous les agriculteurs touchés ont été invités à rédiger un état des lieux détaillé de leur situation et de leurs besoins. Luc Servant, président de la chambre d’agriculture de la Charente-Maritime, insiste : « Nous devons établir une estimation globale pour la transmettre aux pouvoirs publics. »

Sans oublier les exploitations sur les îles de Ré et d’Oléron. L’équivalent de trois ans de récoltes de sel, stockées sur les talus des marais salants, a été emporté par le raz de marée. Quant aux pommes de terre, elles auraient dû être semées dans huit jours. Quand le ministre annonce une première aide de 5 millions d’euros, il précise bien que ce n’est qu’une première enveloppe.

Du côté du remboursement des dégâts, deux questions majeures taraudent les agriculteurs : comment les assureurs et le fonds des calamités tiendront-ils compte des risques à long terme engendrés par le passage de l’eau salée dans les champs, les bâtiments, les gaines d’électricité, le matériel, etc. ? Et surtout jusqu’où ira le fonds des calamités pour rembourser les dégâts qui ne relèvent pas de l’assurance ? Pourra-t-on aller au-delà du taux de remboursement habituel de 35 % pour la perte de fonds ? Comment les cultures assurables seront-elles considérées ?

Pour l’instant, pas de réponse. Le gouvernement vient de nommer un « Monsieur Assurance ». Et les assureurs expertisent, sous l’œil attentif des responsables. « Nos conseillers juridiques viendront systématiquement sur place, chaque fois qu’il le faudra, pour assister les agriculteurs en discussions avec les assureurs ou les banquiers », assure Joël Limousin.

 

Les pompes manquent

Sur le terrain, la solidarité entre agriculteurs s’active, planifiée par les organisations professionnelles.  Dès le lendemain de la tempête, les autres départements se sont manifestés pour proposer leur aide : le Tarn a proposé des bras, tout comme les Landes meurtries l’année précédente. Le Morbihan donne de la paille. Dans les Deux-Sèvres, les sinistrés pourraient disposer de terre pour produire de l’ensilage.

« Cette solidarité nous tient debout », remercient Dominique Gorichon et Didier Bertrand. Dès mercredi, dans la commune de La Faute-sur-Mer, des agriculteurs venus avec des tracteurs et télescopiques commençaient à nettoyer les fossés encombrés.

De son côté, François Avrard, président de la FDSEA de la Charente-Maritime, souligne : « Nous avons besoin de bras pour nettoyer les parcelles, enlever les débris déposés par la mer, remettre les clôtures en place. Il est urgent d’évacuer l’eau. Mais les pompes manquent, abîmées par le sel. L’idéal serait maintenant d’intervenir avec des pompes à hélice tournant derrière les tracteurs. Des prêts par d’autres agriculteurs seraient les bienvenus. »

En Vendée et en Charente-Maritime, des brèches ont été ouvertes dans les digues pour accélérer le retour de l’eau vers la mer. Ensuite, elles seront rebouchées. Il faut faire vite, avant les marées d’équinoxe du 20 mars.

En Vendée, les deux Gaec repartiront : « Nous sommes d’ici, clament-ils. Que l’on nous demande notre avis sur l’entretien désastreux des digues au nom d’on ne sait quelle plante à préserver aujourd’hui emportée par la mer. »

L’Etat a été montré du doigt pour la gestion des digues. Chez les agriculteurs, le coupable est plus rapidement désigné : les associations de protection de l’environnement, la Ligue de protection des oiseaux (LPO), la Diren, le Conservatoire du littoral.

Tout au long de la côte, ils témoignent des difficultés rencontrées pour travailler sur les digues depuis la tempête de 1999. Il a été impossible de les consolider, et plus encore de les rehausser. Elles ont parfois juste été réparées ponctuellement. Le président de la République a promis un « plan digues »...

 

 

Gypser les sols pour éliminer le sel

Le complexe argilo-humique des terres de marais fixe le sodium du sel apporté par la mer. Sous l’effet de ce sodium, les argiles se dispersent. Le sol devient dur « comme du béton » en surface et reste quasi liquide en dessous.

Il devient alors impossible de le travailler et les racines des plantes ne peuvent pas le pénétrer. Le sel peut s’éliminer par lessivage, mais le processus est lent.

Le seul moyen de l’accélérer est d’apporter du gypse, dont le calcium interagit avec le sodium et le fixe dans le sol.

Avant de l’épandre, la terre doit être travaillée en surface pour fissurer la couche dure et assurer la dispersion en profondeur. La période la plus favorable est à la fin de l’été, quand les sols sont secs.

Les quantités de gypse à épandre sont fonction du niveau de sodicité : de 20 à 25 tonnes par hectare pour un sol très instable, de 10 à 15 tonnes pour un sol intermédiaire.

Le coût de l’opération est élevé, de l’ordre de 1.000 €/ha. L’étendue de l’inondation d’eau de mer fait craindre des problèmes d’approvisionnement.

Les producteurs locaux risquent de ne pas suffire. La chambre de la Charente-Maritime a pris contact avec des fournisseurs en Grande-Bretagne.

 

 

Aides et assistances exceptionnelles

En Charente-Maritime, la MSA a décidé d’attribuer une aide aux familles sinistrées lors de la tempête, et ce sans condition de ressources. En dehors de l’indemnisation par les assurances, une aide de 250 euros par personne au foyer (avec un maximum de 2.000 euros par famille) va être attribuée pour contribuer au rachat de meubles et d’appareils électroménagers.

Une seconde aide, à la mobilité cette fois, sera donnée aux familles dont la voiture a été détruite. Un numéro spécial a été mis en place pour les victimes de la tempête, le 05.46.97.53.32.

En Vendée aussi, la MSA s’est mobilisée : mise en alerte du réseau des élus pour contacter les 45 exploitations touchées mais aussi les saulniers, maraîchers et mytiliculteurs.

Les services sociaux et les médecins du travail sont restés accessibles au 02.51.36.89.07 pour apporter les premiers soutiens, en particulier psychologiques, nécessaires.

Les appels à cotisations pour la fin de mars étaient déjà dans les boîtes aux lettres. Les quarante sinistrés vont bénéficier d’un report de cotisations.

Enfin, les préfectures ont organisé des consultations de psychologues. « Des agriculteurs qui étaient passés chez nous en visite d’exploitation, venus d’autres départements, ont appelé la mairie parce que nous n’étions pas joignables. Cela nous a fait du bien », remercie Didier Bertrand, l’éleveur de L’Aiguillon-sur-Mer, en Vendée.

Pour venir en aide aux sinistrés, vous pouvez contacter la chambre d’agriculture de la Charente-Maritime au 05.46.50.45.00 ou la FDSEA de Vendée au 02.51.36.82.06.

 

 

Polémique sur les digues mal entretenues

D’après Michel Lacouture, directeur de l’Union des marais, depuis 1999 les projets des syndicats de marais ou des organisations intercommunales n’ont pas pu aboutir.

« Nous avons eu de longues négociations sur les digues de la baie de L’Aiguillon. Nous avions besoin de matériaux à prendre sur les mizottes (zones de sédiments entre la mer et la digue). La Diren et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) s’y sont opposées. Nous les avons rafistolées. Les digues ont été laminées. »

Le monde agricole comprend que les marais puissent être inondés par les crues d’eau douce. « Mais le sel, lui, stérilise tout. Si nous abandonnons, les écolos vont être contents, ce sont eux qui auront gagné... »

Depuis la tempête, les pelles s’activent le long du littoral pour réparer les digues avant les marées de la fin du mois. Mais il reste des zones à consolider, comme les marais qui bordent la Charente en aval de Rochefort.

Tout a été détruit et le syndicat de marais n’a pas les moyens financiers nécessaires. Ailleurs, le génie refuse d’intervenir, par crainte de recours administratifs de la LPO. La réfection des digues hors zones urbanisées a été chiffrée à 92 millions d’euros pour la Charente-Maritime. Sans tenir compte des digues agricoles.

« Mais l’investissement nécessaire n’est plus à la portée des syndicats de marais. C’est aux organismes publics de reprendre le dossier », souligne Michel Lacouture.

 

par Myriam Guillemaud et Marie-Gabrielle Miossec

(publié le 12 mars 2010)

 



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