A la cour du Roy

Un genou au sol, une main sur la boîte contenant du cirage et des brosses, Christine Wattez attend, immobile. Agricultrice à Lihus, dans l'Oise, elle joue le rôle d'un cireur de chaussures de bourgeois.

Comme 150 autres bénévoles, elle participe au spectacle « son et lumière »
de l'association François 1^er de Crèvecoeur-le-Grand, dans l'Oise.

Au signal musical, toute la scène villageoise, jusqu'ici figée, s'anime. Plus tard, Christine apparaîtra en habit de paysanne pour les danses villageoises, puis en costume de cour pour les pavanes et les branles.

« J'appartiens depuis dix ans au groupe de danse Renaissance, explique-t-elle. Les enfants élevés, j'avais envie de m'investir dans une activité extérieure. L'originalité des danses m'a conquise. »

Au départ, le groupe réalisait quelques prestations devant le magnifique château de Crèvecoeur-le-Grand du XVI-XVII^e. Puis il s'est lancé dans l'organisation de dîners-spectacles « Ripailles à la cour du Roy », les années impaires.

Les convives, revêtus de chasubles en lin et coton, mangent à l'ancienne, avec des cuillers en bois et des écuelles. Les danseurs enchaînent branles de Pinagay, pavanes et même une danse des terrines inédite. Que le spectacle commence ! Depuis 2006, l'association propose un son et lumière les années paires.

« Nous avons beaucoup progressé. Un metteur en scène renommé, Dominique Martens, créateur du son et lumière d'Ailly-sur-Noye dans la Somme, a été recruté. Nous avons suivi des cours de danse et des cours d'expression théâtrale avec des professionnels. J'ai appris à me déplacer avec un geste lent, ample et précis, accompagné du regard. Le mouvement doit être aperçu par tous les spectateurs, quelle que soit leur place. »

Un vrai défi pour cette agricultrice, qui doit maîtriser trac et émotion. « J'ai dû m'entraîner à parler, crier, articuler, à placer ma voix et avoir un haut port de tête. Le tout sans se départir de son plus beau sourire. Il faut que les gens nous voient et nous entendent. » 

Mais le moment que Christine préfère reste le passage dans les coulisses, juste avant de commencer. « L'émotion est intense pendant les derniers préparatifs, et la convivialité incroyable. Ajuster une robe, redresser une ceinture... Il n'y a plus ni docteur, ni maire, professeur ou agriculteur. Il y a nous, participant au même spectacle, hors du temps. »

Autre phénomène qui motive Christine : l'engouement et l'émulation créés dans la petite cité de 3.000 habitants. Les hommes récupèrent des outils anciens : râteaux, fourches, faux. Les femmes se chargent des étoffes, doubles rideaux de velours, galons, pampilles et bijoux...

Une couturière conçoit bénévolement les costumes (plus de 300 à son actif !). Un atelier de couture se met en place les samedis après-midi. Un peintre imagine un décor qui transforme la salle de fêtes en salle Renaissance. Les commerçants décorent leur vitrine.

L'association organise aussi des défilés costumés et échanges. Christine a participé aux journées historiques de La Ciotat (Bouches-du-Rhône) et de Bergues (Nord). Mais moisson oblige, elle n'a pu se rendre à Québec, au Canada. De même, le son et lumière en septembre, en pleine période de récolte de pommes de terre, l'oblige à enfiler ses costumes bien rapidement.

par Marie-Pierre Canlo

(publié le 17 septembre 2010)