Dominique Leclerc et Benoît Garric se sont rendu compte que quelques précautions dans les premières semaines de vie permettaient de mieux maîtriser l’âge des génisses au vêlage.
«Nos veaux souffrent trop souvent de diarrhées dans les quinze premiers jours, puis au sevrage», reconnaissent Dominique Leclerc et Benoît Garric, installés à Lanuéjouls (Aveyron). «Ces pathologies, en particulier au moment du sevrage, pénalisent leur croissance», confirme Karine Vidal, conseillère en formation au centre de Bernussou, animé par la chambre d’agriculture de l’Aveyron. En découlent des difficultés à la mise à la reproduction. A quinze mois, les génisses sont trop légères pour envisager un vêlage à deux ans, malgré une alimentation bien conduite et une nurserie récemment aménagée. «Nous retardons donc l’insémination, poursuit Dominique, mais elles sont finalement trop grasses.»
Réchauffer le lait
Les veaux passent deux semaines en box individuels avant de rejoindre l’une des deux cases collectives. Ils sont nourris au lait entier, comme dans la majorité des élevages de la région. «C’est un lait de mélange, précise Dominique. Nous le prélevons dans le tank pour obtenir un produit homogène d’un repas à l’autre. Et nous le distribuons après la traite, encore tiède.» Un lait servi à moins de 35°C est trop froid, «il risque de provoquer des diarrhées parce qu’il est mal digéré», souligne Karine, qui suggère l’achat d’un réchauffeur. La présence de coccidies et un bâtiment trop froid, avec des courants d’air, pourraient aussi expliquer ces maladies.
«Nous suivons un plan d’allaitement sur douze semaines, poursuivent Dominique et Benoît. Nous diminuons progressivement les quantités à partir de la septième semaine pour préparer les veaux au sevrage, en passant de deux à un seul repas par jour.» Bloquées au cornadis pendant 15 à 30 minutes après chaque buvée, les génisses ne peuvent pas boire de l’eau tout de suite. Cela limite aussi les têtages. «Pour les sevrer, nous attendons qu’elles ingèrent au moins 2 kg de concentrés par jour», précise Benoît. Il s’agit d’un mélange fermier composé de 80% de céréales (blé + orge ou triticale) et 20% de tourteau de soja 48. Elles disposent aussi d’un foin de prairie naturelle de première coupe à volonté. Mais la complémentation minérale est insuffisante, estime Karine. Les femelles présentent des carences en oligoéléments, comme l’ont mis en évidence des analyses pratiquées sur les laitières. «Après le sevrage, nous emmenons les femelles sur un autre site, où elles reçoivent du foin à volonté et 2,5 kg de concentré fermier.»
L’EXPLOITATION
- 94 ha, dont 20 ha de céréales, 14 ha de maïs ensilage et 60 ha de prairies
- 350.000 litres de quota
- 45 prim’holsteins à 7.000 litres
- 15 génisses par an
- Premier vêlage à 30-36 mois
Avant six mois, la génisse peut être « poussée », quel que soit l’âge prévu au vêlage.
Atteindre 30% du poids adulte à six mois, soit 180 à 220 kg suivant les races, nécessite un gain moyen quotidien (GMQ) de 900 g. Sur cette période, la génisse engraisse peu car elle construit en priorité son squelette et ses muscles. En revanche, un retard de croissance à ce stade ne se rattrape pas. Il se solde par une vache de petit gabarit.
1. Lait entier ou reconstitué
Faire boire 2 litres de colostrum (première traite) dans les 2 heures qui suivent la naissance augmente de moitié les chances de survie du veau. Le lait des quatorze premières traites, riche en nutriments, est adapté à l’alimentation du veau de moins d’un mois. Il peut éventuellement être conservé sous forme de colostrum acidifié.
Ensuite, tous les aliments d’allaitement – lait entier, reconstitué ou fermenté – sont satisfaisants s’ils sont bien employés. A chacun de choisir le plus pratique et le moins cher, ainsi que son mode de distribution. Ainsi, le lait entier sera servi non dilué et chaud, à 38-40°C. Il est aussi possible de le faire fermenter pour obtenir du lait «yoghourtisé» (lire «Des veaux en meilleure santé grâce au lait yoghourt »). Le lait non commercialisable, riche en cellules, convient à condition de rester à moins de 800.000 cellules et de le réserver aux veaux de plus d’un mois, mieux immunisés. En revanche, le lait de mammites ou de traitement antibiotique, délai d’attente inclus, est à écarter. «Attention aussi à l’abus de lait entier, avertit Michel Weber, ingénieur à la chambre d’agriculture de l’Aveyron. Je vois des génisses qui en reçoivent 700 à 800 litres. A ce rythme, on n’obtient pas des vaches laitières, mais des veaux gras…»
Pour les poudres d’allaitement à base de lait écrémé ou de lactosérum, les préconisations des fabricants en termes de dosages et de température de buvée sont à respecter. Cependant, il existe encore des erreurs dans la gestion de l’allaitement, pourtant cruciale dans le bon développement de la future laitière. «Parmi les plus flagrantes, la température de distribution du lait, souvent insuffisante, ou la dilution de lait entier par de l’eau, qui perturbe la digestion», constate Michel Weber.
2. Décupler le volume du rumen
Le rumen est peu développé à la naissance. Les concentrés et les fourrages grossiers, apportés à volonté dès la deuxième semaine, le feront travailler et décupler son volume. Les concentrés choisis sont équilibrés à 1 UFL/kg brut, 115 g PDI/kg brut et 16% MAT. Ils apportent les nutriments nécessaires à la croissance. Un mélange fermier contiendra des céréales broyées grossièrement ou aplaties (blé, orge, triticale, maïs grain) et du tourteau de soja (20%) ou de colza (30%). Des mélanges de grains entiers de protéagineux (féverole, pois, lupin) sont également bien valorisés par les veaux. Attention: il ne faut pas faire l’impasse sur les minéraux, la croissance squelettique nécessitant un apport de calcium et de phosphore. On ajoutera, à titre d’exemple, un aliment minéral vitaminé (AMV) 7-22-4 (40 g/kg de mélange de grains entiers). En aliments du commerce, un VL 2,5 ou un aliment de démarrage pour jeune bovin conviennent parfaitement. «Quant aux floconnés, ils sont plus chers que les granulés pour des performances équivalentes», souligne Philippe Brunschwig, de l’Institut de l’élevage. Les fourrages grossiers – bien conservés et renouvelés régulièrement – stimulent le rumen en piquant ses parois. L’idéal est un foin de première coupe de graminées ou de légumineuses, ou de la paille d’orge ou de blé, sans raccourcisseur pour éviter des tiges trop dures. L’eau propre reste indispensable pour aider à la fermentation ruminale. Elle doit être en accès libre, sauf pendant les 15 à 30 minutes qui suivent la buvée.
3. Sevrer à 2 kg de concentrés
Le sevrage intervient lorsque le veau ingère 2 kg de concentrés, vers 8 à 10 semaines d’âge. «L’arrêt de l’allaitement est un compromis, poursuit Philippe Brunschwig. Un sevrage précoce, à moins de sept, huit semaines, c’est du lait économisé. Mais le rumen n’est pas assez développé pour que la génisse ingère suffisamment de concentrés pour assurer sa croissance.» Après le sevrage, la génisse doit être rationnée à 2,5 puis 3 kg de concentrés avec du foin. Avec de la paille, l’apport de concentrés sera augmenté de 0,5 kg. Un ensilage de maïs de plus de 30% de MS convient également, à raison de 6 à 8 kg complémentés avec 0,6 à 0,7 kg de tourteau de soja et 30 à 50 g d’AMV 7-21-5. En revanche, l’ensilage d’herbe est à éviter, sauf s’il est bien sec (plus de 35% de MS).
Gain de temps: une seule buvée par jour six jours par semaine Depuis deux ans, à la ferme expérimentale des Trinottières (Maine-et-Loire), les veaux reçoivent, dès leur troisième semaine, une seule buvée par jour, six jours par semaine, sans baisse de croissance. Les vachers ont gagné 40% de temps de travail. Pour autant, ils ne sacrifient pas la surveillance et effectuent deux ou trois visites par jour. A cet âge, les diarrhées des veaux, foudroyantes, nécessitent un traitement rapide. |
«Nous parions sur la croissance compensatrice»
Passer l’hiver dehors et sur des pâtures adaptées contribue à la bonne fertilité des génisses, constatent Cécile et Patrick Couderc.
Chez Cécile et Patrick Couderc, éleveurs à Moyrazès, dans l’Aveyron, les génisses nées entre novembre et mars passent l’hiver suivant dehors. «Elles ont le poil bourru et sont un peu légères en fin de saison, remarquent-ils. Mais elles se rattrapent largement par la suite grâce à la croissance compensatrice. Et leur développement n’est pas pénalisé. La preuve, les taux de réussite en première IA atteignent 80%, voire 100% certaines années!» La condition: accepter un gain de poids très faible en hiver, de l’ordre de 400 à 500 g/jour. «Pendant les périodes de grand froid, c’est parfois limite», reconnaît Patrick, qui surveille leur croissance en les pesant à la mise à l’herbe et à la rentrée à l’étable. Mais pas d’inquiétude, les génisses rattrapent leur retard au printemps. Les pesées montrent que le gain de poids de certaines femelles dépasse 1.000 g par jour, sans aucun apport de concentrés. Cette forte croissance fait aussi office de flushing et contribue à l’excellente fertilité des génisses. Mais une pâture de bonne qualité est indispensable.
Des prairies bien exposées
Les génisses nées en hiver et au printemps sortent en fin d’été. Pas sur n’importe quelle parcelle, mais sur celles qui sont bien ensoleillées et abritées. Une haie est indispensable pour permettre aux animaux de se protéger du vent et des intempéries. Sur l’exploitation des Couderc, la parcelle est en pente, et donc saine. Bien sûr, il y a des inconvénients, en particulier le fait de travailler dehors avec des températures qui peuvent descendre à -10 ou -12°C. «Certains hivers, nous avons dû apporter l’eau au seau, car elle avait gelé dans le tuyau, se souvient Cécile. Et distribuer le concentré quand le râtelier se trouve au milieu d’un bourbier est un peu pénible...» Les génisses disposent de fourrage à volonté. En complément, elles reçoivent 2 kg d’un mélange fermier avec du foin à volonté ou 3 kg avec de la paille également à volonté. Cécile leur distribue le concentré tous les jours. «Grâce à ce contact quotidien, elles nous connaissent. Elles sont plus dociles que celles qui restent en étable. Et elles mangent tout sans aucun problème. Ce sont des prim’holsteins rustiques!», sourit-elle. Cécile et Patrick ont été contraints d’adopter l’hivernage en plein air par manque de place dans leur étable entravée. Mais le couple est satisfait du résultat: laisser un lot dehors diminue la quantité de fumier à évacuer, et les bêtes sont moins malades. «Nous avions d’autres difficultés quand nous les rentrions, relativise Patrick. Elles avaient tendance à engraisser. Alors qu’aujourd’hui, il n’y a aucun risque! Elles ne connaissent pas non plus les soucis d’oedèmes mammaires.» Quitte à investir, le couple préfère acheter des niches à veaux pour améliorer le logement des élèves de moins de six mois, plutôt que d’agrandir la stabulation.
Il y a intérêt à obtenir une génisse lourde au vêlage, mais pas à n’importe quel prix.
«La production de lait augmente avec le poids au premier vêlage, grâce à une plus grande capacité d’ingestion: +50 à 90 kg de lait pour 10 kg de poids vif supplémentaire», rappelle Philippe Brunschwig, de l’Institut de l’élevage.
De six à douze mois, ralentir le rythme
«En vêlage à deux ans, les éleveurs ont tendance à trop pousser les génisses, en leur fournissant des aliments trop riches et souvent coûteux, regrette Michel Weber, ingénieur à la chambre d’agriculture de l’Aveyron. En vêlage à trois ans, au contraire, ils laissent plutôt traîner.» Et entre six et douze mois, une croissance soutenue se traduit par des dépôts de gras dans la mamelle, pénalisant pour la production laitière. La génisse peut se contenter d’un GMQ de 500 à 800 g. Mais attention, à moins de 400 g, la mamelle sera trop petite. En stabulation, du foin ou de la paille à volonté conviennent parfaitement, complémentés avec 2-3 kg de concentré type VL 18 ou simplement du tourteau de soja. L’ensilage d’herbe ou l’enrubannné également, accompagnés de 0,5 à 1 kg de céréales. En revanche, l’ensilage de maïs est à éviter, ou alors strictement rationné. Dans ce cas, distribuer les refus des laitières est économiquement intéressant. Une croissance hivernale faible fera ensuite jouer la croissance compensatrice lors de la mise à l’herbe. Au printemps et en été, le pâturage autorise des gains de poids de 700 g/jour, avec un apport de foin et de concentrés quand la pousse de l’herbe ralentit.
Le poids déclenche la puberté
En prim’holsteins et en normandes, les premières chaleurs apparaissent à 40% du poids vif adulte, c’est-à-dire à 250-280 kg. En montbéliardes, tarines ou brunes, ce sera autour de 50% du poids vif (320-340 kg). Après la puberté, relancer la croissance favorise la mise en place du tissu sécréteur de la mamelle. Avec un GMQ de 600 à 800 g, les taux de réussite en première insémination s’élèvent à 80%. En deçà de 400 g en moyenne, la génisse sera trop légère pour un vêlage à deux ans. Si elle pèse moins de 550 kg, sa mise bas sera plus difficile. Et le retard de croissance ne se rattrapera pas par la suite. Au-delà de 800 g/jour, la génisse risque d’être trop grasse et donc moins fertile. C’est un écueil majeur en vêlage trois ans. «Les marges de progrès sur le coût alimentaire (hors lait) s’élèvent à environ 120 € par UGB génisse dans l’Aveyron, estime Michel Weber. Et le taux de renouvellement trop élevé est en grande partie lié à des génisses dont l’élevage a été négligé.» L’herbe est l’aliment idéal, au pâturage comme à l’étable. Peu coûteuse, elle permet de fortes croissances sans engraisser les génisses. Pour amortir les coûts, il y a donc tout intérêt à faire jouer à plein la croissance compensatrice, en visant un GMQ de 600 g l’hiver précédent, avec un régime à base d’herbe conservée (ensilée ou enrubannée), de foin ou de paille, complémentée avec peu de concentré. En revanche, le maïs est à proscrire, sauf en transition alimentaire dans les quatre semaines qui précèdent le vêlage.
Des concentrés pratiques, complets mais plus coûteux Après les concentrés uniques pour premier et deuxième âges, les fabricants proposent aussi des aliments complets. Sous forme de mash ou de gros bouchons, ils contiennent concentrés et fibres grossières (paille, luzerne brins longs), pour un surcoût de près de 10%. Enfin, la dernière mode est à l’incorporation d’huiles essentielles comme alternative aux antibiotiques facteurs de croissance. «Ces aliments ont une valeur alimentaire régulière, ils sont appétents et simples à utiliser, estime Michel Weber. Mais il est possible d’atteindre des croissances identiques avec des aliments fermiers, pour un coût beaucoup moins élevé!» |
par Elsa casalegno (publié le 4 novembre 2005)
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