Publié le jeudi 03 juillet 2014 - 12h15
Thierry Pouch est économiste et responsable du service Références et études économiques à l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA). Dans un entretien accordé à La France Agricole, il livre son sentiment sur les négociations commerciales qui se déroulent depuis juillet 2013 entre l'Union européenne et les Etats-Unis.
Quel est l'objectif du traité de libre-échange transatlantique ?
Les divergences sont nombreuses au sein même de l'Union européenne (UE). Le TTIP (Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement) suscite beaucoup d'inquiétudes dans les domaine agricole et agroalimentaire. En revanche, les secteurs de la chimie ou de l'industrie automobile y sont favorables car il y a déjà des échanges croisés importants.
Si la convergence des normes aboutit entre les Etats-Unis et l'UE, ces standards seront étendus à l'ensemble du monde. L'objectif commun des Etats-Unis et de l'UE est de garder la main sur l'économie mondiale. Selon les nouveaux indicateurs de la Banque mondiale, la Chine dépassera, en termes de PIB/parité de pouvoir d'achat, d'abord les Etats Unis à la fin de l'année 2014, puis l'UE en 2015. De ce point de vue, les Etats-Unis comme l'UE ont intérêt à faire alliance car ils représentent à eux deux 48 % du PIB mondial (UE : 23 %).
Quels sont les enjeux agricoles pour l'Union européenne ?
Les droits de douane agricoles sont plus élevés chez les Européens, autour de 12 %, avec des pics tarifaires pour certaines productions « sensibles » : la viande de bœuf (45 %), la viande de bœuf désossée (97 %), les abats comestibles (147 %), le lait (42 %), le sucre (24 %). A chaque fois, les tarifs douaniers américains sont moins élevés, sauf exception comme le lait (21,8 %). On peut en déduire qu'une réduction des droits de douane ou une hausse des contingents (part d'importation à droits réduits) fragiliseraient certaines filières en Europe.
Depuis 2007, les importations de viande bovine en provenance de l'Amérique du Nord ont été multipliées par 7. Avec la signature de l'accord de libre-échange UE/Canada, le contingent canadien passe à 65.000 tonnes. Dans le cadre du TTIP, les Etats-Unis demandent à passer de 48.000 tonnes à 130.000 tonnes.
Les Européens ont, eux, obtenu des compensations avec le lait et ont des opportunités sur le marché des produits laitiers américains, avec la réserve d'un accord sur les indications géographiques protégées (IGP). Les Américains les considèrent comme des produits standards de masse (à l'inverse des marques, ndlr). Le syndicat agricole majoritaire aux Etats-Unis ne veut d'ailleurs pas transiger sur ce point. Or, elles sont importantes pour l'Europe.
Sur les normes, la Commission européenne a-t-elle « tracé » des lignes rouges ?
Le commissaire européen au Commerce a tracé des lignes rouges qu'ils s'est engagé à ne pas dépasser et qui concernent, pour la plupart, des normes sanitaires et environnementales (exemple : hormones, OGM). Les tractations en sont à leurs prémisses, et sont « secrètes », mais on sent une très forte pression américaine pour que ces lignes s'affaiblissent. Les carcasses de poulet traitées au chlore font partie des lignes rouges qui pourraient être revues. Les Etats-Unis sont excédentaires sur leurs exportations agricoles partout dans le monde, sauf en Europe. La signature du TTIP leur permettrait de rééquilibrer la balance commerciale et de récupérer un marché qu'ils avaient perdu avec la Pac. A titre d'exemple, le solde des échanges agroalimentaires France/Etats-Unis est excédentaire en faveur de la France depuis 1983, et représentait 2 milliards d'euros en 2013 (5 à 6 milliards pour l'UE). Or, la France est le premier bénéficiaire de la Pac.
L'agriculture européenne est-elle compétitive sur un marché transatlantique ?
Le coût de production américain est inférieur à celui des Européens pour des raisons multiples : moins de traçabilité, des dépenses énergétiques, sanitaires et d'équipements moindres. A cela s'ajoute la manipulation du taux de change. C'est un paradoxe de négocier sans en discuter alors que c'est inimaginable de faire la même chose avec l'euro. L'agriculture européenne a plus d'intérêt à être défensive qu'offensive.
Le bénéfice du traité n'est donc pas avéré ?
Dans les accords de libre-échange, il y a toujours un perdant. Il suffit de tirer les enseignements de précédents traités pour s'en rendre compte. Avec l'Alena (zone de libre-échange entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada), le Mexique, gros producteur de maïs, s'est mis à importer massivement avec pour conséquences la perte de près d'un million d'emplois. Au sein de la sphère économique, on souhaite aller vite mais il y a clairement un problème pour le secteur agricole.
Propos recueillis par Pauline Bourdois
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