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Article 22 :

Reportage: «En bio, on vise une productivité compatible avec l’agriculture paysanne et durable»

Gaëtan Dubreil-Jardin cherche à marier bio et modernité, dans un esprit solidaire. Ses clés: travailler à plusieurs et garder les yeux ouverts sur le monde.

S’il tourne résolument le dos à l’agriculture intensive, Gaëtan Dubreil-Jardin n’est pas non plus un défenseur de l’extensif. Entre ces deux voies qui s’opposent, il en explore une autre, celle de la désintensification. « Ici, en Bretagne, on dispose d’un bon potentiel pour produire. Viser une vache par hectare là où le sol peut en nourrir davantage est pour moi contraire à la durabilité. On peut être bio et miser sur une certaine productivité. » Sa réflexion résulte de son histoire et de son tempérament. Un père éleveur suivant la voie du productivisme dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, pour aboutir finalement à un échec. Un foyer accueillant des enfants de la Ddass et des parents engagés et militants qui lui donnent un certain regard sur la société et la solidarité. Quand il obtient son bac et qu’il s’inscrit en fac de géographie, Gaëtan ne sait pas ce qu’il fera de sa vie. Mais il est certain d’une chose: il ne sera pas paysan. Une conviction qui tiendra jusqu’à ce que, objecteur de conscience, il découvre un autre type d’agriculture. Au Cedapa (Centre d’étude pour un développement agricole plus autonome) dans les Côtes-d’Armor, il rencontre des éleveurs qui arrivent à concilier l’économie, l’environnement et le social. En s’appuyant sur ces trois piliers de l’agriculture durable, ils s’épanouissent dans leur métier. Loin de la pression imposée par une recherche de production toujours plus élevée, induisant des investissements, des achats et une somme de travail importants, ils visent une certaine autonomie. Soucieux de gagner leur vie, ils comparent leurs chiffres, progressent ensemble. Le soutien du groupe facilite leur acceptation d’une évolution à contre-courant, souvent regardée de travers par leur environnement. « J’ai flashé sur ce mode de vie », se souvient Gaëtan Dubreil-Jardin.

LE CADRE

- L’élevage se trouve dans la région de Fougères, au nord de l’Ille-et-Vilaine, dans un bassin laitier très dense. Le canton est en ZES (zone d'excédent structurel).

- Cette zone se caractérise par des terres profondes et un climat très favorable qui assurent des rendements élevés: généralement plus de 15 t de MS à l'hectare en maïs.

- Seule une partie de la surface possède ces qualités. 50 ha de terres de landes sont difficiles à exploiter et peu productives.

CARTE DE VISITE

- Gaec à trois associés.

- 375.000 l de quota.

- 82 laitières, principalement holsteins et croisées montbéliardes.

- 5.000 l de lait/VL à 40,5 de TB et 31,5 de TP.

- 107 ha dont 11 en céréales, 6 en maïs et le reste en prairies temporaires ou naturelles.

- Prix du lait en 2007: 365,70 €/1.000 l.

Parallèlement, son père Louis effectue le même cheminement. Son Gaec produisant du lait et du porc en intensif a échoué. Il réfléchit avec d’autres éleveurs confrontés aux mêmes difficultés, d’abord avec la Confédération paysanne, puis au sein de l’Adage (Agriculture durable par l’autonomie, la gestion et l’environnement) et d’Agribio 35. Progressivement, il fait évoluer son système vers du lait produit largement avec de l’herbe. Il passe en bio en 1996. Il dispose alors de 50 ha de terres difficiles et d’un quota de 250.000 l de lait.

L’installation, une occasion imprévue

En 2002, un voisin propose à Gaëtan de reprendre son exploitation: 20 ha de terres labourables et 110.000 litres de lait, à 500 mètres de chez ses parents. C’est une surprise, mais il faut décider vite. L’épouse de Gaëtan, Emmanuelle, se trouve alors au Burkina Faso, dans le cadre de sa formation d’infirmière. Il lui en parle. « Elle aurait eu beaucoup de mal si j’avais voulu me lancer dans l’agriculture conventionnelle. Mais là, entre le passage en bio de mon père et la vision plus humaine que j’avais du métier, elle a accepté. » En outre, les parents de Gaëtan avaient effectué la mise aux normes en 2000. Ils possédaient donc un outil fonctionnel. Et l’exploitation proposée semblait complémentaire. Les cédants avaient toujours travaillé de manière traditionnelle, sans forcer sur les intrants. Des pratiques assez proches du bio.

Aujourd’hui, Louis a cessé son activité. Le Gaec fonctionne avec trois associés: Gaëtan, sa mère Geneviève et son oncle Patrick. Ce dernier les a rejoints parce qu’il avait la même vision du métier. Et il existait une vraie complémentarité au niveau du travail. Patrick s’était d’abord installé seul en porcs et vaches allaitantes sur 20 ha. Une structure trop petite. à 360.000 l de lait, le quota du Gaec reste inférieur aux seuils du PAD (projet agricole départemental) pour trois associés. « J’ai dû me battre avec l’Adasea pour qu’ils soutiennent le dossier en CDOA. »

Agrandir l'image Les associés exploitent 107 ha, dont 50 ha de terres de landes difficiles à travailler. Mouillées au printemps, elles ne peuvent être pâturées que plus tard dans la saison. Et leur valeur alimentaire reste limitée, notamment du fait de la présence de joncs. L’assolement accorde une large place aux prairies temporaires. Le maïs et les céréales entrent dans la rotation, sur les terres labourables, quand les prairies sont à refaire. Et ces cultures apportent un complément de ration intéressant. Mais la production de fourrages s’avère un peu juste par rapport aux besoins.

Le troupeau produit 5.000 litres par vache en moyenne. Un niveau que les associés trouvent insuffisant. Alors que l’exploitation doit acheter des fourrages, ils se posent la question de l’intérêt économique d’un troupeau de ce niveau. Mieux vaudrait nourrir moins de vaches plus productives avec les fourrages de l’exploitation. Pour améliorer ce point, ils misent sur la génétique (voir l'encadré ). Mais ils envisagent aussi de revoir leur système fourrager afin de le rendre plus productif. Contrepartie logique de cette faible productivité laitière, le troupeau est en bonne santé. Toutes les génisses sont fécondées sans souci par deux taureaux limousins. Le taux de réussite en première IA atteint 62% sur les vaches. On compte moins de dix mammites chaque année. Elles sont soignées avec des antibiotiques.

L’organisation du travail s’appuie sur les compétences et les goûts de chacun. Geneviève s'occupe de la traite du matin, des veaux et gère la trésorerie. Patrick, après la traite du matin, se charge des travaux des champs et valorise ses connaissances en gestion. Gaëtan fait la traite du soir. Il suit le troupeau, l’herbe, la comptabilité et la gestion technico-économique. Les contacts entre les trois associés sont permanents. Ils se retrouvent en outre systématiquement en début de semaine pour éplucher les finances et faire le planning. Ils prennent trois semaines de vacances par an et deux dimanches sur trois.

Préparer le départ de Geneviève

Les objectifs fixés en 2002 sont globalement atteints. Il s’agissait d’abord de consolider l’exploitation. En effet, la situation financière était tendue du fait d’un passif hérité du système précédent. Elle s’assainit progressivement. Les résultats techniques et économiques confortent les éleveurs dans leur orientation. Le système de production en lui-même a peu varié par rapport à ce que Louis avait mis en place. Il reste à stabiliser la situation et à sécuriser l’avenir.

Les associés réfléchissent à l’arrêt d’activité de Geneviève. Elle souhaite d’ores et déjà lever le pied et elle préférerait partir assez rapidement. Son remplacement doit donc être organisé, car il est hors de question de poursuivre l’activité à deux. Pour des raisons sociales, bien sûr. Mais les associés estiment que trois est un bon chiffre, quand il s’agit de prendre des décisions pour lesquelles l’unanimité n’est pas évidente. L’une des pistes explorées repose sur l’accueil d’un cousin sur l’exploitation. Agé de vingt-cinq ans, il travaille actuellement comme salarié en élevage. L’installation le tente, mais il hésite encore un peu. Il pourrait entrer comme salarié dans un premier temps. « Nous voulons trouver des conditions financières justes et équitables », explique Geneviève. Les associés veillent à préserver des comptes associés positifs. Le capital de l’exploitation est faible. L’accueil d’un nouvel associé pourra se faire avec une mise de fonds raisonnable de 30.000 à 40.000 euros.

Par ailleurs, plusieurs projets sont envisagés pour améliorer l’autonomie alimentaire de l’élevage. « Notre système actuel n’est pas assez sécurisant. Le plus souvent, en mars, il n’y a plus de stocks », souligne Patrick. L’élevage achète chaque année des fourrages et des concentrés. En protégeant moins ses cultures, l’éleveur bio est plus sensible aux aléas sanitaires ou climatiques. De plus, en augmentant la productivité de la surface, le Gaec pourrait envisager de produire davantage de lait, en visant le seuil du PAD par associé. L’entrée du cousin, si elle se concrétise, permettrait de prétendre à une hausse de quota à 450.000 l. Un plus pour conforter la rentabilité de l’élevage. Car, comme Gaëtan le souligne, un système de production durable doit aussi assurer un revenu décent à ceux qui travaillent.

Le premier axe d’évolution envisagé concerne les 50 ha de terres de mauvaise qualité qui entourent l’exploitation. Drainer 15 ou 20 ha apporterait des améliorations considérables au système fourrager. Le troupeau aurait accès à des pâtures de meilleure qualité et la saison de pâturage serait plus longue. Les associés préfèrent cette option à la reprise de terres labourables. Mais le drainage est très réglementé. Le coût est évalué entre 1.000 et 1.200 €/ha. Et le Gaec n’est pas propriétaire des terres. Ce projet est actuellement à l’étude.

Investir dans du séchage en grange

Le deuxième axe d’évolution concerne l’investissement dans du séchage en grange. Actuellement, en matière de stockage, tout reste à faire. Il s’agit là aussi d’améliorer l’autonomie alimentaire en jouant sur le volume et la qualité des stocks. Certes, l’investissement dépasse 200.000 euros, ce qui justifie une profonde réflexion. « C’est cohérent dans une région comme la Bretagne qui offre des terres productives », souligne Gaëtan. Ce système ne consomme pas plus d’énergie que d’autres types de récoltes, et dépend moins du pétrole. De plus, les atouts techniques ne manquent pas. Les prairies peuvent être fauchées à un stade optimal. Ce fourrage de qualité stimule de bons niveaux de production laitière. Avec une installation de ce type, l’exploitation pourrait se passer d’achats de fourrages. Le projet va être chiffré dès cette année. En 2010, le montant des annuités sera réduit de 20.000 euros. Ce sera peut-être alors le bon moment pour réinvestir.

Troupeau: des couleurs et une stratégie

La productivité des vaches n’est pas laissée au hasard. Il faut dire que quand Louis s’est lancé en bio, il a mis un taureau montbéliard au milieu de ses holsteins longuement sélectionnées. Avec du recul, c’était une erreur. Forts de cette expérience, les éleveurs refusent de travailler avec des animaux mal conformés ou d’un niveau de production trop faible. Le troupeau se compose d’un quart de holsteins, un quart de montbéliardes et un quart de croisées montbéliardes. Quant au dernier quart, il est plus bigarré: quelques normandes, des jersiaises et des croisées jersiaises-holsteins. Les holsteins justifient leur présence par leur productivité laitière. Les souches sont adaptées au système et pâturent bien. La montbéliarde est intéressante pour son dynamisme et sa rusticité, mais elle est plus longue à traire. La normande est arrivée un peu par hasard, parce qu’elle était plus disponible en bio. La première jersiaise était un don, et elle a fait souche. Un croisement jersiaise sur holstein a été tenté. Ces vaches plaisent par leur productivité élevée. Enfin, le croisement des holsteins avec des montbéliardes visait à changer de race par absorption. Les éleveurs sont satisfaits de ces croisées. Mais ils vont maintenir le troupeau dans sa composition actuelle. La sélection est orientée vers la morphologie pour les holsteins et vers le lait pour les autres. Pour des raisons pratiques d’organisation du travail, les génisses sont saillies par un taureau limousin. Issus d’un élevage bien connu des éleveurs, ces reproducteurs n’ont jamais déçu. Les génisses vêlent seules.

La production moyenne tourne autour de 5.000 kg. Les éleveurs adhèrent au Contrôle laitier et visent 6.000 kg. La génétique le permet. Ce niveau devrait être atteint lorsque le séchage en grange viendra améliorer la ration en qualité et en volume.

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Ration: priorité au pâturage

D’avril à octobre, les prairies couvrent 95% des besoins énergétiques du troupeau. L’essentiel est pâturé. Cependant, les éleveurs pratiquent également l’affouragement en vert. Ce n’est pas une contrainte, compte tenu de la main-d’œuvre disponible. Ils n’ont guère le choix sur les parcelles très humides qui jouxtent l’exploitation. Au printemps et à l’automne, lorsque l’herbe est déséquilibrée, les vaches reçoivent une complémentation énergétique sous forme de maïs et de céréales. La transition est délicate au printemps. En hiver, la ration se compose de 50% de foin, d’ensilage d’herbe et de bouchons de luzerne, complémentés par 1 kg de soja. Parce que l’exploitation doit acheter des fourrages et des concentrés, le coût alimentaire est relativement élevé: 75 €/1.000 l, dont 9,45 € pour les concentrés. A titre indicatif, les éleveurs bio de la petite région tournent en moyenne à 54 €/1.000 l. Mais le Cergiv (Centre de gestion de l’Ille-et-Vilaine) affiche une moyenne de 95 €/1.000 l.

«Le bio: c’est un moyen, pas un objectif»

«En mettant en cohérence l’économie, le social et l’environnement, l’agriculture paysanne et durable attaque le système dominant de front. Quand on démontre que cela peut fonctionner, on pose pas mal de questions. Le bio n’est pas toujours durable, notamment quand il s’appuie sur des modes de production très extensifs. Certains militants écologistes me semblent irréalistes. Je m’en méfie, tout comme des logiques purement financières qui dominent le monde. J’ai un peu voyagé et je suis sensible à ce qui se passe ailleurs. Dans beaucoup de pays, l’agriculture est sous la coupe des firmes. Ailleurs, les paysans n’ont même pas d’outils. Il faudra sans doute produire davantage, pour que tout le monde puisse se nourrir. On peut y arriver en préservant l’environnement. Surtout pas avec des OGM, mais avec une vraie politique mondiale qui permette à chaque paysan d’avoir au moins un outil et de vendre ses produits au juste prix, non concurrencés par nos agricultures subventionnées. Ce que l’on fait chez nous n’est peut-être qu’une goutte d’eau à l’échelle de la planète. Mais on y tient et on agit.»

Prairies: une conduite selon le potentiel

Les 50 ha les plus proches de l’exploitation sont majoritairement destinés au pâturage. Ces parcelles de terres difficiles portent des prairies retournées tous les cinq à dix ans, en fonction de leur évolution. Elles sont ensemencées en RGA, fétuque et trèfle blanc. L’exploitation se fait tous les trente-cinq à quarante-cinq jours. Chaque vache dispose de 42 ares de pâture. Un peu plus éloigné, le reste de la surface est plus facile à travailler et donne de meilleurs rendements. Des prairies temporaires y sont implantées pour quatre ou cinq ans, en rotation avec du maïs et des céréales. Elles se composent de mélanges complexes à base de RGH, dactyle, fétuque, luzerne et trèfle blanc ou violet. Ces prairies sont fauchées ou pâturées par les génisses. L’ensemble de la surface en herbe est fertilisé avec du compost, à raison de 10 à 15 t/ha. L’exploitation en produit 500 t/an.

par Pascale Le Cann

(publié le 6 mai 2008)

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