On eût aimé que son histoire fût moins âpre. Mais Jean-Marie Déguignet a trop connu la misère pour la parer de la moindre des vertus qui adoucit souvent les écrits des historiens, lorsqu'ils tentent de faire revivre le passé de leurs ancêtres.
A sa naissance en 1834, la crise de la pomme de terre chasse ses parents et leurs neuf enfants de leurs maigres terres. Pour survivre, son père devient journalier. Jean-Marie est initié au métier de mendiant, puis de vacher. Il apprend à déchiffrer la langue bretonne au catéchisme, décrypte seul l'écriture. Pour lire et parler le français, pour apprendre enfin, il s'engage dans l'armée. Il sera de toutes les guerres de Napoléon III, observateur impitoyable de cette épopée. Il perd la foi devant Jérusalem. Après quatorze ans d'armée, il revient près de Quimper. Il se marie et reprend la ferme de sa belle-mère au bord de la faillite. Pendant quatorze ans, il applique les méthodes modernes de culture et redresse l'exploitation, mais son anticléricalisme virulent, sa défense acharnée de la République et sa maladie de la persécution conjugués lui font perdre son bail. Avec son pécule, sa femme reprend un débit de boisson et... meurt de cirrhose. Après un nouvel échec dans un débit de tabac, il entreprend, malgré sa misère, d'écrire une première fois sa vie. Il confie ses cahiers à Anatole Le Braz, écrivain breton qui, fasciné par ses écrits, promet de les publier. Mais comme il ne peut s'exécuter que sept ans plus tard, Jean-Marie Déguignet, de plus en plus paranoïaque, réécrit son histoire qu'il croit volée. Il mourra en 1905, face à l'hospice de Quimper, laissant quarante-trois cahiers d'écoliers. Peu avant, il connaîtra quelque apaisement en voyant publier le premier des cahiers confiés à Anatole Le Braz.
Il faudra ensuite quatre-vingts ans pour qu'une association d'historiens passionnés, à Ergué-Gabéric (Finistère), déniche le trésor: les quarante-trois cahiers que des héritiers gardaient dans un coin de placard. Après quelques années de travail de décryptage, l'association met l'intégralité des cahiers à la disposition du public en mairie. Et Bernard Rouz, membre de l'association et journaliste, met en forme le livre. Seule une maison d'édition (1), située près de Brest, prend le risque de publier 2.000 exemplaires en 1998. Six mois plus tard, Michel Polac, enthousiaste, parle du livre à la radio. Aujourd'hui, le livre se situe parmi les meilleures ventes avec 120.000 exemplaires vendus: «Ce succès vient de l'auteur. Les gens sont frappés par l'authenticité de ce livre ; il doit être le seul, écrit par quelqu'un de l'intérieur et non par un historien», analyse Bernard Rouz.
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(1) «Mémoires d'un Paysan bas-breton», édition établie par Bernard Rouz, Editeur An Here. E-mail: centre.deguignet@wanadoo.fr .
par Marie-Gabrielle Miossec (publié le 11 août 2000)
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