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Article 27 :

Les agriculteurs prennent la plume

Les agriculteurs aiment prendre la plume. Certains le font pour que leurs écrits conservent la trace de ce qui va être détruit. D'autres veulent témoigner de leur passé fait de luttes, de mobilisation, de solidarités ou d'exode. A d'autres, l'écriture donne une liberté d'évasion dont les prive parfois un métier ancré dans la terre.

Tous n'ont pas la même qualité littéraire. Mais qu'importe si le livre est publié par une grande maison d'édition ou s'il reste dans la confidence de la famille ou des amis. Tous les écrivains confirmés ou en herbe nous disent leur plaisir d'écrire. Et qui sait, parmi tous ceux qui s'emparent de cahiers d'écoliers, peut-être surgira un nouveau Jean-Marie Déguignet? Paysan breton mort dans le dénuement en 1905, il écrivit sa vie dans 26 cahiers d'écoliers. Publiés par une maison d'édition du Finistère en 1998 (1) , il a créé la surprise: en édition originale, en édition intégrale, en poche, en français, en anglais, en italien ou maintenant en tchèque, sa vie a été diffusée à 300.000 exemplaires. Un siècle après la mort de son auteur. Les écrits demeurent.

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(1) " Mémoires d'un paysan breton " aux éditions An Here.

Fermier le jour, écrivain la nuit

Son talent, c'est l'écriture, sa passion, l'agriculture. Dans la Mayenne, Jean-Loup Trassard les conjugue de roman en roman.

«Mon père était fermier de droits communaux: il recevait les droits de place sur les marchés pour le compte des mairies en Bretagne et Normandie. Il possédait aussi 7 ha qu'il faisait cultiver. J'étais enfant unique et dès que je pouvais je filais sur la ferme des voisins. A partir de mes douze ans, je comptais parmi eux comme un commis, avec le privilège de celui qui n'est pas obligé. Je n'ai jamais pu me passer de l'agriculture. J'ai repris l'activité de mon père. Le matin, je m'occupais de cette gestion et l'après-midi je travaillais la ferme que j'ai portée à 14 ha. J'élevais des vaches maine-anjou. La nuit j'écrivais. J'ai arrêté les marchés en 2000. Et je viens de céder mes meilleures terres.»

Un travail d'ethnologue

En 1961, un ami l'introduit chez Gallimard qui de «L'amitié des abeilles» à «La déménagerie» en passant par «Nous sommes le sang de cette génisse», publiera ses récits. «Je dois cet amour de l'écriture à ma mère qui m'a donné des livres pour enfant très jeune. J'ai très tôt aimé jouer avec les mots. Dès mon premier livre publié en 1961, l'agriculture a été mon sujet. Les écrivains citadins parlent nature. Moi je parle du travail, des outils, des hommes. Mon travail c'est la langue, mon objet c'est l'agriculture. Quand je commence un livre, je trouve le ton et je m'y tiens.» Son dernier livre est écrit comme on raconte une histoire un soir à la veillée: écriture vive, précise avec des apartés au milieu des phrases, des digressions comme il s'en fait au cours d'une conversation, avant de revenir au fil du récit. «A travers mes textes et mes photos je cherche à attraper le réel qui fuit, conserver ce qui va être détruit.» Il a beaucoup décrit et photographié les fermes et les paysages bocagers de la Mayenne avant que la modernité ne s'installe. «J'ai une excellente mémoire affective. Mon dernier livre est un roman. Tout n'est pas vrai parce que j'ai inventé les détails que je n'avais pas. Mais tout est véridique. La vérité est celle de mon souvenir.»

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La ruée vers la Sarthe

Soixante-trois ans nous séparent des événements que nous conte Jean-Loup Trassard dans «La Déménagerie» (1) . Mais très vite, il nous plonge dans l'univers de ce petit garçon qui, en 1941, suivit au plus près le déménagement de ses voisins et amis agriculteurs, Victor et Marguerite Fourboué. Les Fourboué quittent leur ferme du bocage mayennais pour en reprendre une deux fois plus grande dans la Sarthe. Cent kilomètres séparent les deux lieux, autant dire le bout du monde pour les protagonistes: ils vont changer de département, de climat et de statut social, passer de la bougie à l'électricité. Le livre emprunte son titre au grand-père de l'auteur: «Il détestait les déménagements qu'il appelait déménagerie.» Un titre tout trouvé pour l'épopée des Fourboué qui, à pied, à cheval, à vélo ou en train pour le troupeau, parcourront le chemin qui va de la Mayenne à la Sarthe. Le film du déménagement se déroule sous les yeux du lecteur de la petite cour de la Hougerie jusqu'à la grande allée qui mène à la Mézangerie: choix méticuleux des voisins et parents qui seront du déménagement avec «chârte» et chevaux, conflit avec l'ancien fermier de la Sarthe et le nouveau fermier de la Mayenne, tickets de rationnement et soupçon de marché noir.

Les souvenirs de l'auteur enrichis des confidences de Marguerite Fourboué composent une histoire proche de celles de la conquête de l'Ouest.

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(1) «La Déménagerie» est publié chez Gallimard.

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Mémoires d'un paysan soldat

Agriculteur à la retraite, Claude Herbiet a écrit sur sa guerre d'Algérie. Aujourd'hui il prête sa plume à d'autres témoins.

«Je me faisais une montagne d'écrire un livre. Mais quand on a des choses à dire, cela se passe bien. Le plus difficile, c'est de se faire éditer.» Eleveur du Haut-Nivernais à la retraite, Claude Herbiet consacre l'essentiel de son temps à l'écriture.

Mais il n'en a pas toujours été ainsi, car Claude Herbiet a une autre passion: la photographie. Avec un appareil acheté en Allemagne en 1952 lors de son service militaire, il réalisera plus d'un millier de clichés sur la vie rurale. Ce fond documentaire inestimable restera dans les cartons de nombreuses années avant que les meilleurs instantanés ne se retrouvent exposés en 1988 à Saint-Amand-en-Puysaye, dans la Nièvre. Le succès est immédiat. Claude Herbiet participera alors à de nombreuses expositions, remportant même quelques concours de photographes amateurs. Mais des problèmes de santé priveront Claude de la possibilité de continuer à battre la campagne un appareil photo à la main.

Dès lors, il délaissera l'objectif pour la plume, fort de quelques essais dans la poésie, dans la chanson et de quelques textes produits pour commenter ses photos. Dans son premier livre, il raconte sa propre histoire de jeune appelé en Algérie et présente, avec les témoignages d'anciens camarades, le récit d'une embuscade meurtrière. L'ouvrage, «Du Vadahon à Figuig, les pérégrinations d'un rappelé de 1956», est préparé avec l'appui d'un ami journaliste à la retraite. Il est édité chez l'Harmattan.

«Je suis un des leurs»

Le livre de Claude Herbiet va susciter de nombreux témoignages d'anciens d'Algérie. Il va mettre sa plume au service de leur histoire. «Je ne suis ni historien, ni journaliste, simplement un des leurs à qui ils se sont confiés», explique-t-il. De ce travail de mémoire est né un second ouvrage, «Nous n'étions pas des guerriers», édité par la Société des écrivains.

Claude Herbiet a dans ses cartons des manuscrits prêts à la publication et bien d'autres projets en tête. Notamment un livre sur l'agriculture des années cinquante-soixante, qu'une sélection de ses meilleures photos de l'époque viendra illustrer. Les idées lui manquent moins que les moyens financiers et techniques.

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Difficile de se faire éditer

Jean-Paul Pelras, ancien syndicaliste agricole des Pyrénées-Orientales, attend lui aussi la réponse d'éditeurs parisiens pour son prochain roman: «J'ai déjà publié à compte d'auteur "On en parle au village" tiré à mille exemplaires. J'ai fait le tour des librairies et des salons. Maintenant, avec un ami, nous avons créé notre maison d'édition "De la terre à la plume" pour éditer des livres régionaux. Nous publions notre premier ouvrage en octobre, douze portraits de paysans du Midi. Au niveau local, fabriquer, diffuser et faire la promotion de mes livres ne me semble pas insurmontable. Quand on a été agriculteur, on sait défendre ses intérêts. Pour diffuser au niveau national, mieux vaut rejoindre une maison d'édition existante.» Un ami l'a recommandé auprès de deux éditeurs. Il attend la réponse pour un roman dont le titre serait «Un vieux garçon».

Les portes de l'édition se sont ouvertes il y a deux ans devant André Bucher, agriculteur depuis vingt ans et écrivain depuis presque aussi longtemps. Son éditrice, Sabine Wespieser, s'apprête à lancer en août son deuxième roman «Le cabaret des Oiseaux» . «Pour choisir les romans que nous publions, nous n'avons pas de critères. Notre choix d'auteurs est subjectif, mais nous travaillons de manière professionnelle. Le sujet doit être soutenu par une vraie écriture. La forme produit le sens. C'est l'imaginaire des auteurs qui nous retient. Nous attendons autre chose que leur ego. André Bucher m'a été signalé par un ami commun. Le réseau de complicité est important.» Le premier livre d'André Bucher, «Pays qui vient de loin» qui a eu les honneurs du journal «Le Monde», s'est vendu à 9.000 exemplaires.

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Carnets de campagne

Jean-Paul Julien raconte son enfance, son monde de Saintonge, son agriculture.

«Quand j'étais sur mon tracteur, je prenais des notes.» Un paysage de collines couvertes de blé lui rappelle qu'autrefois se trouvaient là des haies et des vergers. Un gamin rentrant de l'école sur la route du hameau le ramène à sa propre enfance et au curé qui leur faisait classe. Ces souvenirs qui viennent tourbillonner dans sa tête, l'éleveur charentais les a attrapés au vol pour les épingler dans un carnet. «Parfois, il m'arrivait même d'arrêter le tracteur. Sur les chantiers, les collègues se demandaient pourquoi...»

Puis Jean-Paul Julien a commencé à retranscrire ses notes. Devant l'ampleur de la tâche, il a cherché un conseiller littéraire. La libraire de Saint-Porchaire, sa commune, lui a indiqué un autre de ses clients, Didier Catineau, éditeur régional et habitant du canton. Au fil des rencontres, l'idée est née d'aller plus loin et, de ces bouts de papier auxquels ils donnaient forme ensemble, de faire un livre. «Je voulais laisser une trace du passé saintongeais, raconter la vie locale et les traditions.» Il évoque la coopérative de panification où, enfant, il allait chercher le pain. «Il n'y avait pas les mêmes règles sanitaires qu'aujourd'hui et quelques escargots passaient dans le moulin à farine...»

Un peu d'angoisse

Il parle des arbres fruitiers qui couvraient les vallonnements de Saintonge, de la peine causée par leur arrachage lors des remembrements, des hommes, les bras en croix, qui tentaient d'empêcher le passage des bulldozers. Des vaches. De l'arrivée des machines. De la recherche du rendement. De son engagement syndical. Et de la tempête de décembre 1999 qui a blessé «sa» Saintonge. Pour l'auteur, ses futurs lecteurs sont «des gens d'ici, de la campagne, des gens qui sont partis en ville et qui cherchent leur passé». Jean-Paul Julien se réjouit de cette publication et l'appréhende en même temps (1). «Il vont découvrir des choses sur moi et sur la vie locale.» Mais il garde le sentiment du devoir accompli, d'avoir fait ce qu'il devait.

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(1) «Des Jeuzines à Saint-Porchère» dans la collection «Paroles de Saintongeais».

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Didier Catineau, accompagnateur d'écrit

«Chaque semaine, je l'ai fait transpirer. Puis nous avons décortiqué ensemble ce qu'il avait écrit et nous lui avons donné une forme plus littéraire.» Didier Catineau est libraire éditeur et conseiller littéraire. Il a accompagné Jean-Paul Julien dans son travail d'écriture, occupant plusieurs fonctions à la fois: celui qui écoute, celui qui questionne et incite à aller chercher plus profondément dans les souvenirs enfouis, et aussi celui qui met les mots justes, qui polit et patine le travail de l'auteur, «qui met de belles phrases sur de belles pensées».

Le texte mis en forme par le conseiller littéraire a été soumis à l'auteur. «Il prend, il laisse, il complète, il développe.» Le document imprimé et relié était destiné à des proches, à la famille.

Vu le travail de Jean-Paul Julien, Didier Catineau a souhaité aller plus loin et éditer le livre pour un plus grand nombre. Il a profité de l'occasion pour créer une collection, «Récits de vie». «Le témoignage de Jean-Paul Julien retrace l'évolution de l'agriculture. Elle est très rarement racontée sur le plan humain.»

L'idée est d'utiliser le témoin d'une époque en s'attachant à raconter sa vie et, à travers cette vie, les changements du monde autour de lui, le monde dans sa globalité comme le petit monde plus restreint de son immédiate proximité: le village voisin, ses acteurs, ses activités, ses lieux de vie... «Au final, il en sort des livres qui sont de vrais livres. Et qui font le lien entre les générations.»

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Un atelier d'écriture paysanne

L'Association pour le développement de l'emploi agricole et rural dans le Lot-et-Garonne (Adear) a proposé cinq jours de formation à l'écriture aux retraités.

Les cinq stagiaires de «Mémoires paysannes», parmi lesquels quatre anciens agriculteurs, sont satisfaits. Paul Tombu a 83 ans. Et pendant que ses enfants poursuivent la production de pruneaux et de pêches, il s'est lancé dans l'écriture. «Nos parents venaient de Belgique. Ils se sont installés dans le Lot-et-Garonne après un crochet par le Canada. Nous étions cinq frères et soeurs enfants et nos enfants voulaient que nous écrivions notre histoire. Chacun a raconté à sa façon. Ma nièce s'est chargée de taper à la machine. On a rajouté des photos. Cela donne "Le fabuleux destin d'Hélène et d'Augustin", un livret familial, modeste mais qui raconte nos parents. L'écriture ne nous est pas venue d'un coup. Cela date de l'école. Le stage de cet automne m'a ouvert de nouveaux horizons. Maintenant, je vais raconter l'histoire d'une famille du cru, celle de ma femme.»

Eleveur de chèvres depuis 1973, Marcel Paing a toujours aimé la poésie. «Pour mes soixante ans, ma compagne a relié mes textes consacrés à mes chèvres, à ma famille, aux enfants, à mes voyages. L'écriture fait travailler la mémoire. Avant la retraite, le temps pour écrire me manquait. Maintenant, je voudrais écrire l'histoire de ma famille avec ma soeur et recueillir d'autres témoignages auprès d'anciens.»

La réalité de la vie

Tugdual de Cacqueray de l'association «Culture et liberté» a animé ce stage: «Je cherche à débrider les gens face à l'écriture. Les agriculteurs en activité n'ont jamais le temps. Le stage redonne un temps où le seul objectif est de produire un texte. Dans un premier temps, nous faisons des propositions d'écriture, puis ils écrivent, puis vient la lecture non obligatoire et les réactions qu'elle suscite.» L'échange, la lecture du texte des autres, la confiance installée a plu aux deux retraités. Paul Tombu résume: «Le stage m'a déstabilisé, il a bousculé mes habitudes. Il me pousse à continuer. Les agriculteurs ont beaucoup à dire qui ne peut être dit par les autres. L'écriture à la retraite n'est pas un refuge, mais elle nous rapproche de la réalité de la vie.»

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Des prix pour sortir les manuscrits des tiroirs

L'Alliance pastorale décerne tous les deux ans le prix "Nature et terroirs". Clément David, ancien éleveur de Montmorillon, vient de concourir. Et s'il n'a pas obtenu le premier prix, son but est atteint: mettre au propre son carnet de bord relatant la marche des éleveurs de Charroux à Paris en 1996.

Autre prix littéraire, celui des écrivains ruraux. Il a été créé par l'Association des écrivains et artistes paysans, la Fédération nationale des clubs d'aînés ruraux et Cheminements-éditions. Il sera remis lors des Journées nationales des aînés ruraux en juin 2005.

L'association des écrivains et artistes paysans a été créée en 1972 par un agriculteur de la Haute-Marne, Jean Robinet. Elle réunit une centaine d'auteurs dont une quinzaine d'agriculteurs selon Chantal Olivier, agricultrice et vice-présidente de l'association. «L'association encourage ceux qui seraient intimidés ou esseulés» (1).

Autre prix en vue: en octobre 2004, les agriculteurs de «Bienvenue à la ferme» dans les Côtes-d'Armor décerneront à une nouvelle le prix des «Ecrits de garenne».

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(1) http://www.ecrivains-paysans.com

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par Myriam Guillemaud, Jean-Alix Jodier, Marie-Gabrielle Miossec

(publié le 9 juillet 2004)

Sommaire du dossier

Article 37

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