Tout commence par un ras-le-bol. «Nous en avions marre d'être accusés de toutes les pollutions. De la Seine, du sol, de l'air, de l'eau potable... Nous voulions engager un débat sur nos pratiques agricoles dans les marais de l'estuaire de la Seine. Montrer notre vie quotidienne et nos contraintes», se souvient Hubert Lefrançois, éleveur laitier à Saint-Vigor-d'Ymonville, dans la Seine-Maritime. Avec quelques agriculteurs du Gepaes (Groupement des exploitants des prairies alluvionnaires de l'estuaire de la Seine), ils décident de faire un film. «Un média qui passe bien auprès des enfants et des adultes.»
«Avez-vous dix millions d'euros?», leur répond Antoine Crevon, un cameraman voisin. «Non. 1.500 €, alloués par la caisse locale du Crédit agricole de Saint-Romain.» Séduit par leur projet, Antoine Crevon, de l'association «Cave et grenier», leur propose de faire eux-mêmes leur film. Il les forme à la caméra numérique et met à leur disposition son matériel et l'aide d'une monteuse professionnelle. Sept agriculteurs jouent aux apprentis cameramen. Les trois premiers mois, toutes les épreuves filmées furent jetées. Inexploitables! Mais ils persévèrent, créant même leurs trucages, comme les plans aériens pris de la flèche du manitou situé au bord de la falaise. Dix-huit mois plus tard, forts de quatorze heures de rushes, ils montent un film de 50 minutes.
A la fin de 2004, «L'estuaire par ses paysans» est prêt. Projeté vingt fois en 2005, déjà dix fois cette année, il a séduit plus de 4.500 personnes. «Le film inspire le respect et suscite les questions», constate Antoine Crevon. Il permet de crever des abcès d' a priori . «Nous expliquons les contraintes administratives et économiques de l'agriculture. Et celles spécifiques de la réserve naturelle: interdiction de traiter rumex et chardons, de récolter le foin avant le 1er juillet...» Le film a tant de succès que de nombreuses personnes demandent le DVD. Mais les agriculteurs préfèrent le projeter eux-mêmes pour débattre avec les citoyens. L'un d'entre eux, Jacques Duboc, continue de filmer «ses marais». Avec Antoine Crevon, il souhaite réaliser un 26 mn sur la biodiversité et un autre film «mémoire» à partir de témoignages sur la gestion du marais «avant les mesures agroenvironnementales». C'est sûr, les agriculteurs ne produisent pas que des navets!
Agriculteurs en tournéeHubert Lefrançois, Jacques Duboc, Sylvie Letheux et Antoine Crevon projettent eux-mêmes leur film. Les bottes s'enfoncent dans la neige. Du lait s'échappe des deux seaux se balançant lentement. Les veaux attendent l'arrivée de l'éleveur. Les premières images, magnifiques, emportent le public pour 50 minutes dans les fermes du marais de l'estuaire de la Seine: 3.000 ha situés entre le pont de Tancarville et celui de Normandie. Vêlage, bouclage, installation de clôtures, récolte de roseaux, fauche centrifuge du foin... Les scènes se suivent, naturellement, au fil des saisons. Après la projection, suit un débat dans la salle. Des scolaires l'après-midi et le grand public le soir. «Dans quel pays avez-vous filmé les animaux?», interroge un enfant habitant à quelques kilomètres du marais. «Pourquoi les fermes sont-elles si grandes aujourd'hui?», «Pourquoi touchez-vous des subventions?», «Pourquoi cultivez-vous du blé alors qu'il y en a trop en France?», «Quelles sont vos contraintes environnementales?». Autant de questions auxquelles deux agriculteurs et le cameraman apportent des réponses. Expliquant que eux, aussi, ont évolué. Souvent sous des contraintes économiques, administratives et environnementales. «Sans assise économique, il ne peut pas y avoir de développement durable», insiste Jacques Duboc. |
par Marie-Pierre Canlo (publié le 30 juin 2006)
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