Place à «La grande nuit de la culture» dans un petit théâtre d’Evreux. Le clown Raoul Nitrate entre en scène, se cache dans les toilettes, en ressort bravache. Il déplie, avec bien du mal, le plan de son exploitation: les champs «à lui» et ceux «pas à lui». Pendant plus d’une heure, Raoul déroule sa vie de céréalier. Depuis les semis de blé jusqu’au départ dans le ciel, là où il rejoint la dame de la DDA, «celle qui surveille la terre entière avec ses satellites».

Râleur et maladroit, il entraîne le public dans le suivi de sa culture. Vient le manque d’eau. Il y pallie à coups d’arrosoirs, dont le public bénéficie largement. Suit l’attaque des insectes. Il les poursuit à coups de tapettes à mouche. Arrivent les maladies et le fameux pulvérisateur-arroseur. Sans oublier les limaces, «ces feignasses qui se prélassent». Il règle leur sort en chantant avec le public. Raoul répond aussi à la banquière, «aïe, aïe, aïe», et remplit ses déclarations Pac avec empressement et panique…

«Mettre son nez rouge, c’est accepter la vérité sur soi-même»

A la fois enfantin et terriblement attachant, Raoul pose des questions d’une grande profondeur: le lien au patrimoine et sa transmission, la dure logique des générations, l’administration, la valeur travail en agriculture…

«Mon spectacle est un témoignage sur ma vie d’agriculteur, sans volonté militante ou syndicale», explique Olivier Guitel. Faire le clown, il a toujours aimé ça. C’est vers la trentaine, au cours d’un stage de théâtre dirigé par une femme clown, qu’il a eu «la révélation». A l’époque, lui-même animait des cours de théâtre, à la suite de nombreuses formations suivies dans les Yvelines et à Paris. «J’y ai fait venir cette intervenante. Elle nous poussait à sortir le clown qui est en nous. Ça a changé ma vie. Mettre son nez rouge, c’est parler avec son cœur et accepter la vérité sur soi-même, ne garder que l’essentiel et laisser exprimer ses émotions.»

Il reste qu’Olivier à fort à faire pour allier sa vie de clown et celle d’agriculteur. Pour gérer sa ferme céréalière de 294 hectares, à Lommoye, dans les Yvelines, il emploie un salarié et travaille avec des cercles d’échanges lors des gros travaux. Un agriculteur du sud de la France met à sa disposition une moissonneuse-batteuse et un chauffeur pour les récoltes. Son parc de matériel, réduit au minimum, tourne au maximum. Ainsi, il peut continuer à animer des cours de théâtre hebdomadaires et des stages. Chaque jeudi matin, il met son nez rouge pour divertir les patients de l’hôpital d’Evreux. Il crée aussi des spectacles à la carte pour les évènements culturels ou agricoles. Et il a fondé une compagnie, «Etincelle bouillasse», dont il est le directeur artistique. Olivier continue également de se former : techniques de clown, claquettes, concertina.

Deuxième adjoint de sa commune et père d’un garçon de dix ans, il prend, par ailleurs, encore le temps de faire découvrir l’agriculture aux «rurbains». A 44 ans, son métier d’agriculteur, qui a parfois été un poids, le rassure par son côté nourricier, concret et évoluant au rythme des saisons. Et surtout, il nourrit son travail d’artiste.

par Marie-Pierre Canlo

(publié le 5 décembre 2008)